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Recueil des préférences ESG: source de défis et d'opportunités pour les acteurs du marché

Depuis cet été une majorité des conseillers financiers doivent évaluer les préférences des clients en matière de durabilité.

Passée relativement inaperçue pendant l’été, l’entrée en application des nouvelles exigences de la directive concernant les marchés financiers (MIF 2 ou MiFID II en anglais) et de la directive sur la distribution d’assurance (DDA) pourrait pourtant bouleverser le paysage européen de la finance durable, ainsi que les habitudes des épargnants et de leurs conseillers financiers. Depuis le 2 aout, les intermédiaires "offrant un conseil en investissement ou un service de gestion de portefeuille" doivent en effet recueillir les préférences de durabilité de leurs clients avant de leur proposer un placement financier.

Autrement dit, aux habituelles questions relatives à la situation financière, aux objectifs d’investissement ou encore à la tolérance au risque posées lors de l’évaluation de l’adéquation viennent désormais s’ajouter des questions portant sur la sensibilité des clients en matière de développement durable. Ces "préférences ESG" doivent ensuite être prises en compte dans le processus de sélection des produits. "L’idée est de comprendre davantage les attentes des clients en intégrant ces fameux critères extra-financiers, résume Maëlle Caravaca, fondatrice du cabinet de conseil en patrimoine ‘En Privé’. Cela permettra d’affiner leurs orientations sur l’investissement, et de coller au plus près de leurs besoins en matière de stratégies patrimoniales."

Par leurs conseils, les entreprises d’investissement et les distributeurs de produits d’assurance peuvent jouer un rôle central dans la réorientation du système financier vers la durabilité"

En pratique, les questionnaires soumis par les conseillers financiers doivent permettre de définir les attentes des clients autour de trois aspects : la proportion minimale d’investissements alignés avec la taxonomie européenne, qui classifie les activités économiques en fonction de leur degré de durabilité sur le plan environnemental ; la proportion minimale d’investissements durables au sens du règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), qui impose notamment aux fournisseurs de produits financiers de classer ces derniers en fonction du degré de prise en compte (ou non) de l’ESG dans les stratégies ; la prise en compte par les instruments financiers des "principales incidences négatives sur les facteurs de durabilité", c’est-à-dire les impacts négatifs que peut avoir un investissement sur l’environnement ou la société. En aval, les entreprises d’investissement sont également tenues "d’établir à l’intention du client un rapport expliquant en quoi les recommandations qui lui sont adressées correspondent à ses objectifs d’investissement, à son profil de risque, à sa capacité à supporter des pertes et à ses préférences en matière de durabilité".

Connecter l’offre et la demande

L’arrivée de cette nouvelle obligation constitue la suite logique du grand chantier réglementaire entamé par la Commission européenne dans le cadre de son plan d’action pour la finance durable, dont l’un des objectifs annoncés est de réorienter les flux de capitaux "en vue de parvenir à une croissance durable et inclusive". En visant spécifiquement les distributeurs, celle-ci devrait notamment permettre d’embarquer davantage les particuliers dans cette transition, analyse Béatrice Verger, Responsable du développement ISR chez BNPP AM : "Le règlement SFDR a permis d’amener de la transparence, de la clarté aux différentes topologies de produits, pour éviter notamment le greenwashing. Désormais MiFID II a l’ambition d’orienter les épargnants européens vers des produits qui contribuent à une économie plus durable et réellement alignés avec leur sensibilité".

L’ISR est devenu un champ de citoyenneté qui permet d’atteindre d’autres typologies de clients."

L’enjeu est de taille, puisqu’il s’agit notamment de connecter une offre de produits "ESG" gonflant à vue d’œil et une demande latente des investisseurs particuliers, dont l’appétence pour des instruments financiers plus durables a été maintes fois soulignée. Selon l’enquête annuelle du FIR consacrée à ce sujet, les Français sont une majorité à accorder une place importante aux impacts environnementaux et sociaux dans leurs décisions de placements. Problème, ils ne sont que 7 % à déclarer avoir déjà investi dans des produits d’investissement responsable, et seulement 8 % disent s’être vus proposer de l’ISR par leur banque ou leur conseiller. Pour ces deniers, il existe pourtant un véritable enjeu commercial, avance Maëlle Caravaca : "Les clients n’ayant pas forcément de sensibilité à l’investissement traditionnel peuvent être plus séduits, parce que cela rend l’investissement beaucoup plus concret. L’ISR est devenu un champ de citoyenneté qui permet d’atteindre d’autres typologies de clients."

"D’un point de vue de l’image et de la communication, nous entrons dans un monde où l’ESG devient incontournable, confirme Tiphaine Saltini, CEO et cofondatrice de Neuroprofiler. En parallèle, nous observons une appétence très forte des jeunes investisseurs notamment, qui souhaitent éviter les sociétés n’ayant pas inscrit l’ESG dans leur culture d’entreprise et dans leurs produits. Dans un contexte difficile pour les fonds en euros, il peut par exemple s’agir d’une opportunité pour inciter les clients à aller vers des unités de compte ‘responsables’ et donc des portefeuilles plus dynamiques, la plupart d'entre eux déclarant vouloir avoir un impact dans le domaine de l’investissement."

Adaptation des conseillers

L’intégration de ces nouveaux textes n’est toutefois pas sans amener son lot de défis pour les acteurs du marché. Du côté de la distribution, un chantier important a concerné la montée en compétence des conseillers financiers, eux-mêmes parfois peu sensibilisés sur ces sujets en constante évolution. Or pour parler de finance durable aux clients et leur fournir un conseil adéquat, encore faut-il comprendre le lexique et les produits associés. "Il a été nécessaire de former nos conseillers pour ne pas les jeter dans la gueule du loup, c’est-à-dire les mettre face à des clients qui vont avoir beaucoup de questions sur des notions complexes : qu'est-ce que la taxonomie ou le règlement SFDR ? Quelle est la stratégie de la société de gestion ou de la banque en matière de finance durable ?", relate Pierre-Alix Binet, responsable des affaires institutionnelles et réglementaires au sein de la direction de l’Engagement citoyen de La Banque Postale. Au sein du réseau la Banque Postale, cet accompagnement s’est notamment traduit par l’intégration d’un module spécifique consacré à l’ISR dans la formation dispensée par l’École de la Banque et du Réseau, où sont formés les conseillers spécialisés en patrimoine du groupe. Il passe aussi par des échanges réguliers avec la branche asset management : "Nous avons mis en place des groupes de travaux hebdomadaires et mensuels avec tous les distributeurs et producteurs du groupe, Louvre Banque Privée, LPBAM, CNP, Tocqueville... Ce afin de faire notamment des points sur la classification des produits, sur les avancées en matière de calcul de l’alignement à la taxonomie...", complète Pierre-Alix Binet.

Chez les conseillers indépendants, cet enjeu de pédagogie est d’autant plus important que ces derniers ont affaire à des produits dont les méthodologies peuvent grandement varier d’une société de gestion à une autre. "Pour les distributeurs Il n’est pas simple de construire des questionnaires facilement compréhensibles, indique Béatrice Verger. De plus, faute de précisions de la part de la Commission européenne, chaque producteur a par exemple posé sa propre définition d’un investissement durable. Un accompagnement pédagogique est très utile pour les distributeurs (notamment en multi gestion) pour comprendre la réglementation et les caractéristiques des produits que nous proposons". Tous cependant n’ont pas attendu l’arrivée de ces obligations pour se pencher sur la question, témoigne Maëlle Caravaca : "Cela fait déjà plus d’un an que je demande à mes clients ce qu’ils veulent en matière de finance responsable, par anticipation de la réglementation. Je les interroge sur les thématiques qu’ils souhaitent privilégier ou exclure ou encore sur les labels qu’ils veulent prendre en compte... La réglementation avance et la profession doit d’adapter."

Calendrier serré

En parallèle, les distributeurs ont également fait face à la nécessité de trouver un juste équilibre entre granularité des questions, qui doivent être assez fines pour permettre de capter des sensibilités précises (souhait d'exclure certains secteurs - voire entreprises - bien spécifiques, recherche d’impact sur une thématique définie...), et accessibilité pour des particuliers souvent novices en la matière. "Nous baignons dans ces sujets au quotidien et voyons leur complexité, observe Béatrice Verger. Il faut que les conseillers en agence soient capables d’expliquer ces concepts de façon digeste aux épargnants, au risque de les perdre".

Pour aiguiller les acteurs, l’autorité européenne des marchés financiers (Esma) a lancé en janvier 2022 une consultation auprès des différentes parties prenantes de l’industrie, mais elle ne devrait publier son rapport final et ses recommandations qu’au troisième trimestre. "Nous sommes encore tributaires d’éléments utiles pour construire les questionnaires, prévient Pierre- Alix Binet. Il y a des questions d’interprétation qui restent en suspens". "L’Esma a refusé de donner un template pour éviter trop de rigidité, et chaque institution en fonction de ses produits doit créer son questionnaire, ajoute Tiphaine Saltini. Le souhait du client sur le pourcentage d’investissements alignés avec la taxonomie par exemple n’est que le résultat attendu, mais chacun peut être flexible sur la façon de capturer cette information".

Le flou autour de l’interprétation de certains points de la réglementation et sur leur mise en œuvre opérationnelle n’est pas le seul problème lié au calendrier. Il faudra par exemple attendre janvier 2023 pour l’entrée en application des normes techniques de niveau 2 du règlement SFDR et l’obligation de publier des déclarations sur les pourcentages d’investissements durable, l’alignement à la taxonomie et la prise en compte des principales incidences négatives. Autre pièce centrale de ce puzzle réglementaire, la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD), qui vise à “harmoniser la publication d'informations sur la durabilité par les entreprises, ce qui permettra aux sociétés financières, aux investisseurs et au grand public de disposer d'informations comparables et fiables en la matière” n’est quant à elle prévue que pour 2024.  

Les délais sont serrés et les données nécessaires pas toujours disponibles, regrette Béatrice Verger. Sur la taxonomie par exemple, seuls 2 piliers - l’adaptation au changement climatique et l’atténuation des effets du changement climatique- sur 6 sont aujourd’hui détaillés, et les chiffres que l’on calcule s’appuient uniquement sur ces 2 piliers. Nous allons poser des questions aux clients sans avoir de données, et les chiffres d’alignement risquent d’être très faibles dans un premier temps". "Le timing est effectivement assez compliqué, confirme Léonard Pirollet, encharge des Affaires Publiques chez La Banque Postale Asset Management. On comprend bien c’était un peu la volonté politique de partir des investisseurs pour aller aux émetteurs, mais un autre choix aurait peut-être été plus judicieux. On nous demande par exemple de nous engager sur un minimum d’alignement avec la taxonomie, alors que les émetteurs ne sont pas encore tenus de publier sur cet indicateur. Le cadre est posé, mais il va désormais falloir des données de la part des entreprises pour que l’adéquation entre l’offre et la demande se fasse bien".

Entre clarifications du régulateur, avancées règlementaires et appropriation des textes par les fournisseurs et les distributeurs de produits financiers, il faudra désormais attendre plusieurs mois -voire années- pour que la mécanique se mette en route, préviennent les acteurs.  "Dans un premier temps, les épargnants ne répondront peut-être pas forcément aux questions, mais on peut penser que dans un an ou deux, ce réflexe entrera dans le quotidien de l’épargne financière, espère Béatrice Verger. De toute façon il n’y a plus le choix : les enjeux ESG sont tels qu’il est devenu impératif de les intégrer à la gestion des portefeuilles".

 

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