Olivier Vietti et Nathalie Beauvir-Rodes, respectivement Gérant senior obligataire et Responsable analyse et recherche obligations durables sur la Transition Juste chez Ostrum AM.
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"Le conflit en Ukraine est juste une alerte dans le chemin cabossé de la transition énergétique"

Lancé il y a quelques semaines, le fonds Ostrum Global Sustainable Transition Bonds vise à intégrer la transition juste "tant au niveau des émetteurs que des instruments dans lesquels il est investi". Respectivement Gérant senior obligataire, Responsable analyse et recherche obligations durables et Directeur de la recherche économique chez Ostrum AM, Olivier Vietti, Nathalie Beauvir-Rodes et Philippe Waechter reviennent sur les spécificités du fonds.

Qu’est-ce que la Transition juste ?

Nathalie Beauvir-Rodes – La thématique de la Transition Juste existe depuis 2015, avec les Accords de Paris lors de la COP21, pour minimiser les répercussions négatives des politiques de changement climatique et maximiser les impacts sociaux pour les travailleurs et les communautés et les Objectifs de Développement Durable de l’ONU. On la retrouve également dans le rapport de l’OCDE "Foreword, The Imperative of a Just Transition", publié en 2017. La Déclaration Transition Juste a été signée lors de la Conférence Climat de la COP24 par 53 pays en 2018, et l’Union Européenne à mis en place son Mécanisme de Transition Juste l’année suivante.  En 2021, Finance for Tomorrow a également lancé l’initiative Investors for a just Transition, qui réunit 22 membres investisseurs et représente 4,3 Md€ d’actifs. 

Malgré cela, il n’existe pas de définition véritablement établie de la Transition Juste. Chez Ostrum AM, nous la définissons ainsi : la Transition Juste est "une transition vers un monde bas-carbone, respectueuse de l’environnement et de la biodiversité, tout en étant inclusive d’un point de vue social et des territoires."

Comment intégrez-vous le facteur "transition juste" dans la stratégie de votre fonds ?

Nathalie Beauvir-Rodes - Dans le cadre du processus d’analyse et d’investissement, nous intégrons la Transition Juste à trois niveaux :

A. Au niveau de la nature des projets financés par les obligations durables dans lesquelles nous investissons. 

De manière opérationnelle, nous avons décliné notre définition de la Transition Juste en trois dimensions (ce que nous appelons dans notre jargons la "Transition en 3D") :

  1. Réduction de l’empreinte carbone
  2. Promotion de l’Impact social
  3. Préservation des écosystèmes et des économies locales 

Nous nous appuyons sur le marché des obligations durables pour financer des projets qui font sens au regard de ces trois dimensions. C’est pourquoi le fonds est investi à 100% de son actif net en obligations durables. 

Par exemple, pour la 1ère dimension, qui est la dimension majeure de notre stratégie, nous avons investis dans des instruments dont les fonds levés sont fléchés vers des projets d’énergie renouvelable, d’efficacité énergétique, de mobilité propre, de bâtiments verts ou bien encore d’économie circulaire. Pour la 2nde dimension, nous pouvons investir jusqu’à 25% des actifs nets du fonds dans des obligations sociales qui ciblent des activités telles que l’accès aux infrastructures de base ou à un logement décent, l’éducation, la santé ou bien encore l’inclusion financière. Enfin, pour la 3ème dimension, nous investissons dans des obligations durables qui financent l’économie réelle (financement de PME/TPME), l’agriculture et l’alimentation durable, ou bien encore la biodiversité. 

B. Au niveau de la "note obligation durable"

Le marché des obligations durables étant auto-labélisé, nous avons développé une méthodologie propriétaire d’évaluation et de notation, avec une grille d’analyse spécifique pour chaque type d’obligations durables afin de sélectionner les instruments les plus qualitatifs et réduire au maximum les risques de "green ou de social washing".

Ces grilles reposent sur deux axes : un axe "émetteur" et un axe "instrument". Dans le cadre de ce dernier, nous regardons divers éléments dont le process de sélection des projets par les émetteurs. Cet élément est important au regard de la Transition Juste puisque nous nous regardons la façon dont l’émetteur identifie et gère les potentielles externalités sociales et environnementales des projets. A titre illustratif : si on prend l’exemple d’un projet de centrale solaire, nous allons nous intéressons à des questions relatives aux respects des droits humains dans la chaine d’approvisionnement, à la reconversion des travailleurs si cette centrale vient se substituer à la fermeture d’une centrale à charbon, ou bien encore aux engagements de recyclage des panneaux solaires. Cette démarche d’analyse s’inscrit dans la logique du "Do No Significant Harm" et du "Minimum Social Safeguard" de la Taxonomie européenne.

C. Au niveau de l’émetteur, via la définition d’un indicateur "Transition Juste" dédié 

Enfin, le dernier élément clé par lequel via lequel nous prenons en compte la Transition Juste dans le cadre du processus d’analyse et d’investissement, est l’indicateur Transition juste.

Cet indicateur spécifique que nous avons développé, vient en plus de nos différentes politiques ESG (politiques sectorielles, politique d’exclusion, politique de gestion des controverses). C’est un indicateur qui vise à mettre en avant les émetteurs présentant de bonnes pratiques en matière sociale et en termes de développement des territoires.

La crise ukrainienne met en lumière le fait que la transition énergétique ne sera jamais un long fleuve tranquille.

Il se calcule au niveau de l’émetteur et de manière différente selon qu’il s’agisse d’un émetteur privé ou d’un émetteur souverain et assimilé. Pour les émetteurs privés, il s’appuie sur notre méthodologie de notation extra financière et couvre, via des indicateurs quantitatifs, des notions telles que les droits humains, le droit du travail, la durabilité des interactions avec les différentes parties prenantes de la transition (travailleurs, consommateurs, chaine d’approvisionnement, communautés locales…) ainsi que l’inclusivité de la stratégie de l’entreprise.  Pour les SSA et assimilés, il s’appuie sur le "SDG INDEX" (publiée par une initiative de l’ONU), et plus particulièrement sur le score de 4 ODDs que nous avons sélectionnés dans le cadre de cette stratégie:  l’ODD 4 (Accès à une éducation de qualité, l’ODD 7 (Recours à une énergie renouvelable à coût abordable), l’ODD 8 (Promotion d’une croissance économique ainsi que d’un travail décent pour tous) et enfin l’ODD 10 (Réduction des inégalités entre les pays et au sein de chaque pays).

Au-delà du processus d’analyse et d’investissement, nous adressons également la Transition Juste via la publication d’un reporting transparent et via nos actions d’engagement.

Cet engagement sur un reporting transparent est clé pour assoir la crédibilité d’une stratégie à impact telle que la nôtre. Nous publierons ainsi, chaque année, un reporting reprenant à la fois des indicateurs environnementaux (tel que l’alignement température du portefeuille ou bien encore les émissions de CO2 évitées), mais également des indicateurs sociaux, ce qui est beaucoup plus complexe du fait du manque de standardisation en la matière. Dans le cadre de notre process de notation des obligations durables, nous valorisons les instruments qui ont des bonnes pratiques en matière de reporting (alignés sur l’ "Harmonised Framework for Impact reporting for Social Bonds" publié par les Principles de l’ICMA*). Nous allons ainsi pouvoir nous appuyer sur ces reportings pour communiquer sur des indicateurs sociaux tels que le bénéficiaires de services de santé, de services d’éducation, de services financiers inclusifs… ou bien encore des indicateurs relatifs au nombre d’emplois "créés ou maintenus".

Enfin, cette stratégie s’inscrit dans un engament plus large d’OSTRUM AM envers la Transition Juste, comme l’illustre notre participation active à la Coalition "Investors for a Just transition" de Finance for Tomorrow, ou bien encore notre soutien envers le "Statement of Investor Expectations for Job Standards and Community Impacts in the Just Transition" de l’ICCR (Interfaith Center on Corporate Resonsability*) dont nous sommes signataires.

Si nous prenons l’exemple de l’Ukraine, la prise en compte du social peut-elle ralentir la transition énergétique ? Est-ce vraiment possible de concilier l’ensemble des enjeux ?

Philippe Waechter – La crise ukrainienne met en lumière le fait que la transition énergétique ne sera jamais un long fleuve tranquille. L’économie subit des chocs qui la dévie de sa trajectoire. C’est le cas avec la hausse du prix du gaz mais ce sera le cas dans le futur lorsque la baisse de la consommation des énergies fossiles compatible avec la neutralité carbone sera associée à une hausse du prix des matières premières nécessaires aux énergies de substitutions. 

Il y a deux points à discuter de façon générale :

  • Le premier est la substitution d’une énergie efficace par une autre qui peut l’être moins. Les énergies non renouvelables n’ont pas les qualités du pétrole. Cet élément est majeur car depuis la révolution industrielle, le développement du monde est conditionné à l’utilisation des énergies fossiles, charbon d’abord, pétrole et gaz ensuite. Ce changement oblige à repenser le modèle économique et à ses impacts sociaux. Jusqu’à présent, l’énergie était fiable, efficace et très bon marché, tout le monde en bénéficiait sans s’en soucier. Ce cadre va devoir évoluer donnant au cadre collectif une responsabilité sociale pour que personne ne reste sur le bord du chemin. Pourtant les tentations pourraient être grandes de favoriser l’entre soi.
  • Le deuxième point est que l’énergie, pendant un moment encore, sera cher. La guerre en Ukraine a mis en lumière les fragilités associées à la disposition et à l’utilisation de l’énergie. Il y a ici la cherté des énergies fossiles car qui va investir sur le long terme dans des énergies dont l’utilisation va décroitre ? L’autre aspect est le montant des investissements qu’il faudra mettre en œuvre pour disposer d’une production d’énergies renouvelables à la hauteur des enjeux de la neutralité carbone. 

On pourrait rajouter un troisième point qui est la nécessité d’un comportement coopératif à l’échelle global pour que chaque pays, chaque région se projette dans le même sens que les autres pour faciliter la transition énergétique. Actuellement, on voit que ce n’est pas le cas et que le coût associé est prohibitif.

La transition énergétique est un défi à l’humanité car elle oblige à réfléchir et à mettre en œuvre un modèle économique très différent dans lequel l’énergie sera un élément clé et un élément cher. 

Chacun dans son comportement sera bouleversé par cette période longue. La tentation est forte de freiner cette transformation pour limiter l’ampleur du changement, considérant que le temps est encore long pour satisfaire aux objectifs de la neutralité carbone. C’est un raisonnement qui est tenu depuis au moins la sortie du rapport Stern en octobre 2006. Mais le temps passe et l’action insuffisante oblige à des efforts de plus en plus considérables sachant qu’il n’y aura pas de changement technologique "miracle" qui effacerait au moins partiellement la question de la transition à mettre en œuvre. 

Le conflit en Ukraine est juste une alerte dans le chemin cabossé de la transition énergétique, il arrive toujours un peu tôt parce que ses conséquences sont douloureuses. 

Un avantage majeur néanmoins est qu’il met l’énergie au centre du tableau et légitime les mesures prises pour prendre davantage en compte l’énergie dans nos trajectoires économiques. En Europe, il y a un coût collectif élevé et un coût social important. A court terme, forcément le social prend une place considérable dans les ajustements mais cela n’aura de sens que si les efforts collectifs qui seront associés permettent de se caler sur la bonne trajectoire. La dynamique sociale à moyen terme doit être conditionnée à cela, sinon la transition énergétique restera un vain mot.

 

Risques du fonds : Risque de perte en capital, risque de taux, risque de crédit, risque de pays émergents, risque de liquidité, risque de contrepartie, risque de surexposition, risques spécifique ABS et MBS, risque de durabilité. Pour plus d’information sur les risques, veuillezvous référer au prospectus du fonds et au DICI disponible auprès de la société de gestion. Se référer au prospectus du fonds et au document d’information clés pour l’investisseur avant de prendre toute décision finale d’investissement. Le fonds Ostrum Global Sustainable Transition Bonds est domicilié en France et autorisé par le régulateur financier, l’AMF, en tant que fonds UCITS. Natixis Investment Managers International est la société de gestion et a délégué la gestion financière à Ostrum AM. Les analyses et les opinions mentionnées dans le présent document représentent le point de vue de (des) l’auteur (s) référencé (s). Elles sont émises à la date indiquée, sont susceptibles de changer et ne sauraient être interprétées comme possédant une quelconque valeur contractuelle. Les références à un classement, prix, label et / ou notation ne préjugent pas des résultats futurs des fonds.