Le réchauffement climatique pourrait engendrer une transformation du système de la forêt amazonienne en un système de savane.
©Gustavo Frazao/Shutterstock
Biodiversité

"La forêt amazonienne a un fort pouvoir de régénérescence, il est encore temps d’agir"

François-Michel Le Tourneau est géographe spécialiste de l’Amazonie. ID l’a interviewé, afin de comprendre les enjeux environnementaux liés à cette forêt.  

1 milliard d’euros : c’est la somme que vont investir la France et le Brésil pour protéger l’Amazonie, d’ici 2028, a annoncé Emmanuel Macron le 26 mars. La forêt amazonienne héberge une grande biodiversité et se voit menacée par l’activité humaine et la déforestation. Pour mieux comprendre les enjeux qui tournent autour du territoire, ID a interrogé François-Michel le Tourneau, géographe spécialiste de l’Amazonie.

Il y a eu 2940 points de chaleur en Amazonie en février 2024. C’est un record, mais est-ce beaucoup ?

2940, ce n’est pas beaucoup. La forêt amazonienne n’est pas une forêt qui brûle particulièrement bien, c’est même le contraire, puisque les feux sont en majorité liés à la déforestation. Mais ce qu’on observe ces dernières années, c’est qu’avec le réchauffement climatique, la forêt est plus sèche qu’avant donc les feux ont tendance à s’étendre aux parcelles non-déforestées, de façon volontaire ou involontaire. Il n’y a pas de plus en plus de feux en Amazonie, mais ceux qui dérapent attaquent la végétation naturelle et détruisent donc la biodiversité très importante qui y est hébergée. Cependant, la forêt amazonienne a un fort pouvoir de régénérescence, alors il est encore temps d’agir.

Quelles sont les conséquences de ces feux et de la déforestation sur l’Amazonie ?

C’est surtout la perte d’une grande biodiversité qui est hébergée en Amazonie. Si on atteint le point de bascule, l’écosystème amazonien ne sera plus capable de se maintenir seul, comme il le fait déjà. Le risque, c’est que la forêt se transforme donc en autre chose : peut-être en une savane, mais peut-être aussi en un écosystème approprié. 

1 milliard de tonnes de carbone ont été émises en 2021 dans la partie sud-est de l’Amazonie, est-ce que cela signifie qu'il y a plus de carbone émis qu’absorbé par la forêt désormais ?

Oui et non. Si on fait le bilan total de la région amazonienne en comptant la déforestation, on a un bilan qui est négatif, c'est-à-dire qu’on a plus d'émissions de carbone que d’absorption. Mais en réalité, nous faisons face à 2 phénomènes. Étant donné que la forêt est un stock de carbone, dès qu’on déforeste, le stock est vaporisé dans l’atmosphère et il va donc faire des émissions. Le deuxième phénomène, c'est qu’on a découvert que la forêt amazonienne absorbait peut-être moins que ce qu'on espérait. C'est une forêt ancienne, donc les arbres sont déjà mûrs d'une certaine manière, et la forêt stocke déjà, en quelque sorte, le maximum de carbone et ne peut se doter de beaucoup plus. Cette capacité d’absorption est aussi impactée par le changement climatique, puisqu’une partie de la région se trouve dans des conditions qui réduisent son efficacité et sa capacité à absorber du carbone. Donc effectivement, le bilan n’est plus aussi significatif qu’avant. 

Est-ce que le retour de Luiz Inácio Lula da Silva au pouvoir va changer beaucoup de choses pour la forêt amazonienne ?

Oui. Le Brésil a un arsenal législatif et des lois concernant l'environnement et la protection de la forêt amazonienne qui sont très stricts. Le problème lors des derniers gouvernements, notamment celui de Bolsonaro, c'est que ces règles n’étaient pas respectées et que c’était accepté. Quand Lula était au pouvoir entre 2003 et 2011, il avait déjà mis en place cette politique et on a vu qu'elle a eu une grande efficacité pour réduire la déforestation, puisqu’elle a été divisée par 5 entre le début et la fin de ses 2 premiers mandats. C'est beaucoup, mais en même temps, on arrivait à une espèce de palier, autour de 4 000 ou 5 000 km² par an et le gouvernement n’arrivait pas à descendre en dessous. Cette réglementation équivaut à un département français qui disparaît chaque année : certes, à ce rythme là, l'Amazonie peut tenir encore une bonne centaine d'années, mais ce n’est quand même pas une bonne nouvelle.

Quels sont les enjeux actuels pour la préservation de l’Amazonie ?

Le plus grand, c’est de maintenir l'écosystème fonctionnel. D'un point de vue économique, aujourd'hui, ça ne sert à rien d'avoir de la forêt, alors il faut faire en sorte que ça ait un sens économique d'avoir de la forêt et donc mettre en place des mécanismes. Mais la question, c’est comment payer ces services et faire en sorte d'entrer dans une dynamique vertueuse ? Il y a des investissements qui ont été annoncés par Emmanuel Macron, notamment lors de sa visite au Brésil, mais la question reste : comment changer de logiciel pour entrer dans une dynamique dans laquelle ça ait du sens social et économique de préserver la forêt ?