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DOSSIER

Entreprises à mission : la raison d’être au service de la performance

Faut-il repenser la place de l’entreprise dans la société afin qu’elle prenne également des responsabilités face aux enjeux environnementaux et sociaux de demain ? C’est notamment ce que permettrait le statut d’entreprise à mission discuté dans le cadre de la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation de l’Entreprise), et plébiscité par certains investisseurs et acteurs du monde économique.

"Replacer l’entreprise au coeur de la société", voilà l’ambitieux objectif affiché par le gouvernement au mois de juin lors de la présentation du projet de loi PACTE. La possibilité de créer un statut spécifique d’« entreprise à mission », lui permettant d’insérer dans ses statuts une mission sociale, environnementale, scientifique ou culturelle faisait partie des mesures déjà discutées en amont. À ce stade, le projet de loi PACTE prévoit notamment de modifier l’article 1833 du Code civil « pour affirmer la nécessité pour les sociétés de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux inhérents à leur activité » ainsi que l’article 1835 du Code civil afin que « les sociétés puissent se doter d’une raison d’être dans leurs statuts ». Mais il n’intègre pas la préconisation du rapport Notat-Sénard, remis au gouvernement le 9 mars 2018, de reconnaître dans la loi le statut d’entreprise à mission, qui devrait, outre cette inscription dans ses statuts, se doter d’un comité d’impact, faire mesurer cet impact par un tiers et publier une déclaration de performance extra-financière.

Une absence regrettée notamment par Geneviève Férone-Creuzet, co-fondatrice du cabinet Prophil et co-auteure d’un rapport sur les entreprises à mission publié en 2017 : « Vous pouvez vous interroger sur votre raison d’être mais ne pas du tout prendre d’engagements, ne pas transformer votre modèle économique ou votre gouvernance. » Cette version « allégée » n’est toutefois pas définitive. De nouveaux amendements pourront être adoptés lors du vote de la loi au Parlement, prévu d’ici la fin de l’année.

68 % des dirigeants interrogés favorables à l’introduction dans la loi d’un statut d’entreprise à mission."
Enquête Profil/Viavoice/HEC

Des entreprises plus « attractives »

Cet intérêt pour la mise en place d’un statut spécifique est partagé. Selon une enquête Prophil/HEC/Viavoice , 68 % des dirigeants interrogés étaient favorables à l’introduction dans la loi d’un statut d’entreprise à mission. Les avantages d’un tel statut : permettre de « répondre aux défis sociétaux d’aujourd’hui et de demain », selon 69 % des sondés mais aussi d’améliorer « sa marque employeur » pour 74 % d’entre eux. Les entreprises qui mettent les défis sociaux et environnementaux au coeur de leur modèle ne sont pas attractives qu’aux yeux des salariés. « Cela correspond aussi aux attentes des consommateurs », rappelle Geneviève Férone-Creuzet.

La prise en compte de l’environnement et l’attention d’une entreprise aux conditions de travail des salariés dans d’autres pays pourrait conduire les clients à payer un prix de 2 à 6 % plus élevé que pour un produit équivalent, expliquent les auteurs d’un article intitulé The impact of corporate sustainability on organizational processes and performance. Cela allié à d’autres spécificités des entreprises qui intègrent les enjeux du développement durable, notamment le fait que le taux d’absentéisme des salariés dans ces structures - qui trouvent plus de sens à leur travail - serait plus faible mènerait, selon cette étude, à un surplus de performance à moyen et long terme des entreprises engagées.

La mission comme vecteur de croissance

« La mission permet de contrecarrer le court-termisme » confirme Frédéric Ponchon, gérant du fonds Sycomore Shared Growth chez Sycomore AM, un fonds qui s’intéresse aux entreprises qui, malgré l’absence de dispositions législatives, ont décidé d’intégrer une mission environnementale ou sociale dans leurs statuts ou leur stratégie. « Cela permet à une entreprise de voir à long terme et d’avoir une croissance pérenne et visible. » Parmi les entreprises présentes au sein de ce portefeuille, on retrouve entre autres Essilor, Schneider Electric ou Danone, dont la filiale nord-américaine, devenue « Public Benefit Corporation » (l’équivalent américain de l’entreprise à mission) a intégré dans ses statuts la mission d’« apporter une nourriture saine au plus grand nombre ». Elles sont sélectionnées sur la base de plusieurs critères, dont la formalisation d’une mission spécifique, l’engagement du management et des actionnaires à produire un impact sociétal, la cohérence du modèle économique avec la mission, un partage équitable de la valeur créée ou encore l’évaluation de l’impact sociétal généré. « Notre engagement auprès des clients, c’est d’apporter de la performance financière et du sens, et c’est ce que permet la mission », ajoute Frédéric Ponchon.

Ces fondamentaux vont peut être irriguer ce que sera le capitalisme de demain."

« Ces fondamentaux vont peut être irriguer ce que sera le capitalisme de demain », précise Geneviève Férone-Creuzet. « On est à un moment de vérité, où si les entreprises ne s’alignent pas sur ces enjeux et continuent avec une croissance carbonée, toxique, on va tous dans le mur. Le sujet du XXIe siècle est là : est-ce que les entreprises vont apporter une solution ? Les entreprises à mission tentent cette voie, en disant qu’il faut absolument mettre la performance économique au service du bien commun, le faire avec sincérité et aller jusqu’au bout de la démarche. » 

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