La tannerie Ictyos récupère des peaux de poissons pour les transformer en cuir.
© ICTYOS/picabelstudio
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Mode : le cuir marin, une filière en devenir

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Exit la case poubelle, les peaux de poissons trouvent aujourd’hui une seconde vie. Saumons, truites, esturgeons...ces différents produits de la mer sont notamment récupérés pour la fabrication de cuirs. En France, la tannerie Ictyos est la première à s'être spécialisée sur ce marché de niche. Interview avec Benjamin Malatrait, l’un des co-fondateurs. 

Considéré comme un incontournable en matière de mode, le cuir est aujourd'hui pointé du doigt pour son impact environnemental. Et pour cause. Au-delà de l’élevage, le processus de tannage, qui consiste à transformer les peaux en cuir, peut se révéler particulièrement polluant, notamment lorsque les cuirs proviennent de pays avec des normes environnementales bien moins contraignantes qu’en France comme la Chine, le Vietnam ou l’Inde. Les tannins utilisés pour réaliser cette opération sont notamment en grande majorité composés de métaux lourds, comme le chrome. Ces procédés consomment par ailleurs de grandes quantités d’eau. Pour lutter contre ces pollutions, de nouvelles alternatives responsables émergent.

Parmi elles, les matières végétales, à base de fibres de palmiers, de peaux de pêches, ou de thé vert, le cuir de liège ou encore le cuir marin. L’idée ? Valoriser les peaux de poissons pour éviter qu’elles ne deviennent des déchets. Cette solution séduit de plus en plus de créateurs et de marques de luxe, comme en témoigne Benjamin Malatrait, l’un des fondateurs de la tannerie lyonnaise Ictyos, spécialisée dans le cuir marin. Avec plus de 50 000 cuirs produits par an, cette entreprise a notamment déjà collaboré avec Alexander McQueen ou Zadig et Voltaire. Entretien. 

L'entreprise lyonnaise Ictyos réalise des cuirs marins à partir de différentes peaux de poissons.
© ICTYOS/picabelstudio

Comment avez-vous eu l’idée de transformer des peaux de poissons en cuir ?  

Tout a commencé en 2017 à la suite d’une prise de conscience. Avec les deux autres fondateurs, Gauthier Lefébure et Emmanuel Fourault, nous étions surpris de voir que d’importantes quantités de poissons partaient à la poubelle, notamment dans les restaurants de sushis où nous allions. Après quelques recherches, nous nous sommes rendu compte que cela représentait 50 000 tonnes gaspillées chaque année en France, soit l’équivalent du poids de cinq Tour Eiffel. Nous avons également réalisé qu’aucune filière de valorisation de ces peaux n’existait en France, notamment pour les restaurateurs. Tous trois ingénieurs chimistes de formation, nous nous sommes alors lancés le challenge de les transformer en cuir. 

Est-ce vraiment nouveau ? 

Quand nous avons commencé le projet, nous ne savions pas que les cuirs de poissons avaient eu leurs heures de gloire par le passé (avec notamment le galuchat). C’est plus tard que nous avons appris qu’il y avait quelques tanneries dans le monde, notamment au Brésil et en Islande, qui étaient spécialisés dans la production de cuirs marins locaux. Aucune entreprise n’avait en revanche encore développé de production en France avec une approche qualitative.  

Quel a été le principal défi ? 

Etant donné que nous souhaitions nous inscrire dans une démarche écoresponsable, il a fallu inventer un procédé de tannage pour les peaux marines qui soit le plus sain et écologique possible. Pour nous, cela se traduit par la renouvelabilité. Il n’était pas question par exemple d’utiliser des tannins métalliques comme le chrome. La phase de recherche et développement a duré trois ans au terme desquels nous avons mis au point une technique basée sur des tannins végétaux spécifiques aux cuirs marins. 

Plusieurs étapes sont nécessaires pour la confection de cuirs marins.
© ICTYOS/picabelstudio

Pouvez-vous nous en dire plus sur les différentes étapes de fabrication ? 

Dans un premier temps, nous récupérons différentes peaux de poissons issues de l’industrie agroalimentaire. Nous travaillons par exemple avec des grandes chaînes de restaurants de sushis pour sauver les peaux de saumons destinées à la poubelle. Si le poisson n’est pas consommé, il ne sera pas transformé. Nous refusons par ailleurs de travailler avec des poissons issus de la pêche et préférons nous approvisionner auprès d’éleveurs ou de pisciculteurs français.

Une fois recyclées, les peaux sont tannées avec des essences végétales - dont nous gardons la recette secrète, dans notre atelier à Lyon."

Cette étape dure une semaine et permet de rendre le cuir imputrescible et résistant. Il est ensuite teint avec des colorants conventionnels afin que la couleur reste dans le temps ce qui n’est pas possible avec des teintures végétales, très fragiles à la lumière.  

Le cuir marin intéresse aujourd’hui les marques de luxe. Est-ce selon vous un effet de mode ? 

Je ne le pense pas. De plus en plus de marques de luxe ont compris qu’elles devaient adapter leur offre aux attentes des consommateurs vis-à-vis de la préservation de l’environnement. Pour leurs créations, elles cherchent des alternatives qui ont les propriétés techniques de leurs matériaux actuels mais avec un impact environnemental plus intéressant. Le cuir marin répond à cette exigence. Afin d’évaluer précisément dans quelle mesure, nous réalisons une analyse de cycle de vie sur le cuir de saumon. 

Il s'agit pour le moment d’un marché de niche. Que manque-t-il pour passer à une production à grande échelle ?  

Le plus challengeant est de trouver des marques qui ont l’audace de tester de nouveaux matériaux, de faire quelque chose de neuf et qui ont envie de raconter de nouvelles histoires. Certaines ont commencé à le faire. Nous comptons continuer à inspirer, développer des nouveautés afin de créer un effet boule de neige pour que d’autres prennent le train en marche. 

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