Le choc pétrolier des années 1970 a conduit à l'utilisation d'énergies plus sales, d'après Jean-Baptiste Fressoz.
©ARIS MESSINIS/AFP
Environnement

Entretien avec Jean-Baptiste Fressoz : Où nous mènera la crise énergétique ?

La guerre en Ukraine va-t-elle ralentir la transition écologique ? C’est la question à laquelle tente de répondre Jean-Baptiste Fressoz, historien au CNRS, créateur du terme “thanatocène”.

Gaz, pétrole, charbon… La guerre en Ukraine pousse les pays à considérer de nouvelles ressources. Seront-elles renouvelables ou encore plus nocives pour l’environnement ? Entretien avec Jean-Baptiste Fressoz, historien au CNRS, à l'origine du terme “thanatocène”.

Que signifie le terme "thanatocène" ?

Dans L’Événement anthropocène. La Terre, l'histoire et nous, co-écrit avec Christophe Bonneuil, nous avons cherché à ajouter l’histoire des techniques au concept d'anthropocène pour raconter une version plus réaliste du grand récit de la crise environnementale. Il existe également le terme capitalocène qui rencontre du succès en sciences sociales et dans le débat public puisque le basculement dans l’ère anthropocène est lié à l’impact des pays capitalistes. Mais, il n’est pas possible de réduire cette nouvelle époque géologique à cela. C’est pourquoi le terme thanatocène est une alternative appropriée.

Les systèmes techniques militaires ont joué un rôle important dans le basculement dans la période anthropocène. L’aviation par exemple, est une technologie intrinsèquement militaire. Jusqu’aux années 1970, il y a plus d'avions militaires que civils. Le carburant des avions à réaction, la production massive d’aluminium sont liés à la Seconde Guerre mondiale. De même, les engrais azotés qui ont une activité très émettrice de CO2 et déficitaire énergétiquement, étaient d’abord utilisés comme des explosifs. Les pesticides, qui ont un rôle fondamental dans la destruction du vivant, étaient à l’origine, des gaz de combat pendant la Seconde Guerre mondiale. Les grands systèmes technologiques qui nous font basculer dans une nouvelle époque ont une histoire militaire. Les militaires en apprenant à tuer les humains apprennent à tuer le vivant en général. Ces technologies ont une tendance intrinsèque à l’exubérance énergétique. Quand l’enjeu est de tuer ou de ne pas être tué, l'efficacité énergétique n’est pas une priorité.

Les baisses de consommation de charbon, gaz et pétrole préconisées par le Giec sont-elles réalistes ?

D'un point de vue d'historien, ce n’est pas réaliste. Les énergies n’ont fait que croître dans l’Histoire. Il n’y a pas de transition d’un système énergétique vers un autre.

Imaginer une réduction de 45% des émissions de CO2 avant 2030 est utopique, ça n’a aucun sens d’un point de vue historique."

Quelles vont être les conséquences de cette guerre du gaz en Ukraine ?

Quand il y a une augmentation du cours de l’énergie, les pays se tournent vers de nouveaux approvisionnements et donc des combustibles moins propres. Dans les années 1970, suite au choc pétrolier, nous avons fait de petits efforts d’économie d’énergie. Mais le contre-choc pétrolier a conduit à une exploitation des ressources comme le pétrole de la mer du Nord, l’offshore profond dans le Golf du Mexique et le développement du gaz. Enfin, le charbon connaît son plus fort essor historique après les années 1970, y compris dans les pays riches. Historiquement, les chocs énergétiques ont plutôt comme conséquence un accroissement des sources d’énergie sales. Dans le contexte actuel de la crise en Ukraine, le gouvernement américain a envoyé ses émissaires au Vénézuela, pays détenant de grandes réserves de pétrole difficiles à exploiter et donc très polluantes. 

La France se dirige-t-elle plutôt vers les énergies renouvelables et la sobriété, ou vers les énergies fossiles ?

Nous nous dirigeons vers toutes ces choses en même temps, elles ne sont pas excluantes les unes des autres. Nous allons à la fois développer les énergies renouvelables car elles sont compétitives dans certains domaines. Nous allons également sécuriser des approvisionnements en gaz, par exemple, en s’équipant davantage de systèmes qui servent à utiliser du LNG (gaz liquide). Il s’agit d'investissements très lourds qui sont appelés à durer longtemps. Cela veut dire que nous serons dépendants du gaz russe pour des décennies. Il n’y a pas vraiment de raisons de penser qu’un renchérissement du prix de l’énergie fossile va nécessairement conduire à un basculement vers les renouvelables, les sources d’énergie ne s'opposent pas les unes aux autres. Le gaz ne sert pas exactement à la même chose que les panneaux solaires ou que l’éolien.

Pensez-vous que cette crise va nous mener à un respect des Accords de Paris ou êtes-vous plutôt pessimiste ?

Il n’y a aucune raison que cette crise nous amène à respecter les Accords de Paris. D’abord, avec ou sans cette crise, ces accords sont utopiques. Deuxièmement, on va assister à l’exploitation de carburant plus sales comme le pétrole vénézuelien ou le gaz du Qatar. Troisièmement, les sources d’énergies ne se substituent pas nécessairement les unes aux autres. Nous allons par exemple continuer à utiliser du gaz pour faire des engrais.

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