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Environnement

"Petits gestes" : pour Yamina Saheb, il vaut mieux voter que trier

Crise énergétique, appel à la "sobriété"... Yamina Saheb considère que les "petits gestes" individuels "représentent très peu de ce que l'on devrait faire en général". Entretien.

L'année 2022 a largement été marquée par la crise énergétique. Tension sur le réseau électrique, risque de "délestage"... Si, à fin janvier 2023, "l'essentiel des risques est derrière nous", il convient toutefois de rester prudent pour la fin de l'hiver, a fait savoir le gestionnaire de réseau RTE. Yamina Saheb est Docteure en énergétique et experte des politiques d'atténuation du changement climatique. Elle est également auteure au GIEC et a signé en juillet dernier une tribune dans Le Monde, dans laquelle elle estimait que la sobriété énergétique ne peut se réduire "aux changements de comportement des individus". 

Depuis quelques mois, nous entendons parler de risques de délestage, de coupures de courant, de tensions sur l’électricité...

Ce n’est pas la première crise énergétique à laquelle nous faisons face. Les Occidentaux ont été confrontés au choc pétrolier de 1973. 50 ans plus tard, nous répondons à la crise actuelle de la même façon : par une course à l’énergie, pour consommer toujours plus. La bonne réponse aurait été la réduction, en mettant en place les politiques nécessaires pour réduire les besoins et la demande en énergie. Nous sommes passés d’une dépendance au gaz russe à une dépendance au gaz américain, sans profiter de l’opportunité que nous offre cette crise pour faire la transformation nécessaire de notre système énergétique. Nous ne sommes pas sûrs de tous les calculs qui ont été faits par les différents gouvernements, alors, nous préparons les citoyens à de potentiels besoins de délestages, etc. En ce sens, c’est assez triste de considérer qu’en 50 ans, nous n’avons rien appris.  

L’idée d’un "plan de sobriété" est bienvenue et Emmanuel Macron est, a priori, le seul responsable européen à avoir utilisé ce terme. Mais dans les faits, le gouvernement doit revoir sa copie."

Les discours politiques incluent tout de même la notion de "sobriété énergétique". Manifestement les industriels, comme les consommateurs, ont réagi en ce sens. N’est-ce pas un signal d’espoir selon vous ?

Le fait qu’Emmanuel Macron ait utilisé ce terme est bienvenu. A priori, il est le seul responsable européen à l’avoir fait. Cependant, le "plan de sobriété" mis en place par le gouvernement concerne uniquement l’énergie et n’est pas un véritable plan de sobriété. Celui-ci met plutôt la pression de la situation actuelle, uniquement sur les individus, tandis qu’il faudrait un véritable plan de politique publique permettant d’éviter de se retrouver dans la situation que l’on connaît aujourd’hui. Ce n’est pas ce que le gouvernement a proposé et en ce sens, il doit revoir sa copie.

Les crises sont des opportunités à saisir pour opérer des transformations profondes. Mais le gouvernement place la charge mentale sur les individus, alors qu’il devrait installer de réelles politiques publiques."

Les contraintes et les angoisses liées à la crise énergétique, à l’inflation, ne peuvent-elles pas également être des opportunités de changement et favoriser les transitions ?

De manière générale, les crises sont toujours des opportunités uniques dans l’Histoire de l’humanité. Toutes celles qui se présentent aujourd’hui, auxquelles nous faisons face, sont utiles. Mais, c’est aux gouvernements de saisir cette opportunité pour mettre en place les politiques publiques nécessaires à la transformation de nos sociétés. Au contraire, ceux-ci placent la charge mentale à saisir cette opportunité et opérer ces transformations dont nous avons besoin, sur les individus. C’est une démission totale du politique. Donc collectivement, nous avons manqué cette opportunité unique. Avec la crise écologique, nous allons passer de crise en crise si les gouvernements continuent ainsi. Le résultat va être très difficile.   

En réalité, on ne règle pas le problème en réclamant des "petits gestes" : on en rajoute simplement une couche sur le dos des citoyens."

Le gouvernement a notamment appelé aux "gestes" individuels. Lorsque l’on parle de transition écologique, ce sujet fait souvent débat : ces "petits gestes", non seulement ne suffisent-ils pas, mais sont-ils aussi une manière de se détourner du vrai problème ?

Exact. C’est vraiment de la fuite en avant de la part du gouvernement, de la part du politique. Non seulement ces "gestes" ne suffisent pas, mais dans beaucoup de cas, ils ne sont tout simplement pas faisables. Par exemple, lorsque l’on demande aux individus de "baisser la température d’un degré". Si l’on habite dans une copropriété avec un système de chauffage collectif, nous n’avons pas la main dessus. De plus, théoriquement, la durée de vie moyenne d’une chaudière est de 15 ans. En pratique, il existe des immeubles où les chaudières sont les mêmes depuis plus de 40 ans. Typiquement, ce qu’il aurait fallu faire, c’est rompre l’audit des systèmes de chauffage obligatoire et remplacer les plus vieux par d'autres plus modernes. Cette mesure était prévue dans la Directive européenne du bâtiment depuis 2002... Alors, nous aurions pu demander à chacun de réguler la température de son foyer. Si l’on demande aux gens d’agir mais que la solution n’est pas là, qu’est-ce qui se produit ? De l’éco-anxiété, des histoires entre voisins par exemple... En réalité, on ne règle pas le problème en réclamant ces "petits gestes" : on en rajoute simplement une couche sur le dos des citoyens.

Ce que chaque individu peut faire à son échelle représente très peu de ce qu’on l’on devrait faire en général."

Dans ce cas, que fait-on ? On arrête tout ? À l’échelle citoyenne, il vaut mieux aller voter plutôt que de trier ?

Oui. Il faut se mobiliser pour que nous ayons les bons candidats pour qui voter. Car si les gens ne votent pas, c'est parce qu’ils ne se retrouvent pas dans les candidats que l’on connaît. Ou alors, ils votent par défaut. Ce qui entraîne à chaque fois une désillusion totale. Ce que chaque individu peut faire à son échelle représente très peu de ce qu’on l’on devrait faire en général. En termes d’émissions de gaz à effet de serre, par exemple, l’unique moyen de rectifier la trajectoire est politique. Donc nous devons trouver le moyen de s’engager, de se mobiliser et de mobiliser autour de nous pour avoir les bons candidats.  

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