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Analyses

"L'article 9", ou comment lutter contre les fausses promesses vertes des fonds en Europe

Ramener de la clarté dans le foisonnement de la finance verte : la régulation européenne impose de nouvelles obligations aux fonds se revendiquant durables, mais reste pour l'heure un chantier inachevé.

"Article 8" et même "article 9": ces mentions ont fleuri sur les documents des fonds d'investissement cherchant à convaincre de potentiels clients, en particulier les fonds se décrivant comme vertueux ou responsables. Fin 2021, 42 % des encours européens dans la gestion d'actifs étaient dans des fonds affirmant se soumettre à un de ces deux articles, principalement en France et Europe du Nord. Ces fonds ont aussi capté 64 % des nouveaux encours sur les trois derniers mois de 2021, selon la société financière Morningstar.

Toutefois, le seul article 9, le plus exigeant, concernait moins de 5 % des encours des fonds, selon la même source. Derrière ces références, se trouve un règlement européen sur la "publication d'informations en matière de durabilité" pour les services financiers, mis en œuvre depuis mars 2021.

Après des années où la gestion d'actifs verte a accumulé sans lisibilité promesses de décarbonation, indicateurs peu pertinents et labels verts en tout genre, le législateur européen a affirmé sa volonté d'établir un cadre pour les fonds durables.

Dans le règlement, abrégé en SFDR selon l'acronyme anglais, l'article 8 impose que les produits financiers qui "promeuvent des caractéristiques environnementales ou sociales" doivent expliquer la manière dont ces critères sont respectés. Bien plus exigeant, l'article 9 dit que si le fonds a pour un de ses objectifs "l'investissement durable", la communication doit inclure "un indice de référence" aligné avec ce but ou, à défaut, "une explication de la manière dont cet objectif doit être atteint."

Plusieurs références

Pour l'instant, les gérants choisissent différents indicateurs pour garantir leurs démarches et le respect de l'article 9. La mise en œuvre de la taxonomie européenne, qui demande aux entreprises de classer leurs activités économiques en fonction de leur impact sur le climat, doit aussi permettre d'accéder à plus de données.

"On a choisi de regarder la proportion de chiffre d'affaires durable selon (le fournisseur de données sur les acteurs des marchés financiers) MSCI", décrit à l'AFP Daphné Parant, analyste ISR auprès de Gay Lussac Gestion, dont un des huit fonds proposés se soumet à l'article 9. Pour ce fonds, investi dans des actions européennes, "au moins un quart des entreprises doivent avoir la moitié de leur chiffre d'affaires durable, et les entreprises dont moins de 10 % du chiffre d'affaires est durable doivent représenter moins de 20 % du total", poursuit-elle. Dans ce fonds resserré (40 entreprises contre plus de 50 dans les autres fonds), environ un tiers du chiffre d'affaires est qualifié de durable.

Chez la société de gestion de fonds Pictet, où 11 fonds sur 80 se revendiquent de l'article 9, ce sont les données du Stockholm Resilience Centre sur les limites planétaires qui sont utilisées, rapporte à l'AFP Hervé Thiard, directeur général. Il y a eu un "travail de longue haleine" pour quantifier les impacts des investissements, assure-t-il. "A l'analyse risques-performances, on a ajouté une troisième dimension, l'impact (...), on a intégré les données ESG dans le cockpit du gérant" illustre-t-il.

Pas un label

La règlementation européenne impose donc seulement la publication d'une méthode. Elle n'est pas non plus la garantie que l'ensemble du fonds soit vertueux. "Ce n'est pas un label", insiste Clémence Lacharme, manager chez Carbone 4, un cabinet de conseil sur les enjeux de climat. Suivre ces articles ne demande pas de passer au préalable devant un jury, mais les contrôles seront faits a posteriori. La surveillance de la trajectoire vers les objectifs de long terme pose aussi question. Les fonds peuvent "prendre des engagements de réductions sur plusieurs années" et s'écarter des objectifs en cours de route sans être sanctionnés pointe-t-elle.

Les indicateurs doivent faire l'objet d'une deuxième phase de règlementation, une norme technique initialement prévue pour la fin d'année 2021 mais dont la publication a été repoussée à la fin 2022 par la Commission européenne. Malgré ces zones grises, "cette règlementation pourrait servir d'exemple ailleurs qu'en Europe" espère Thomas Tilley, économiste de l'Association européenne de la gestion d'actifs.

Avec AFP.