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Emploi sous haute tension

En visant un « taux d’emploi maximum inclusif » tout au long de l’année 2021, la Banque centrale américaine (Fed) se retrouve désormais piégée face à un marché du travail sous haute tension, et souhaite l’apaiser tout en faisant atterrir l’économie en douceur.

L’analyse du marché de l’emploi a engendré de nombreuses théories économiques. La plus célèbre d’entre elles est sans doute la « courbe de Phillips », qui établit une relation inverse entre le taux de chômage et l’inflation. Ce modèle, raffiné par la suite, devint le ciment de la relation d’arbitrage inflation-chômage de la Fed. La seconde est la « courbe de Beveridge », qui relie quant à elle négativement le taux de vacance (nombre d’offres d’emplois ouverts rapporté à la population active) et le taux de chômage. Les entreprises tendent en effet à pourvoir davantage d’emplois en période faste pour l’économie, situation traditionnellement couplée à un faible taux de chômage.

L’effet de la pandémie sur le marché du travail américain figurera probablement comme une atypie historique. De février à avril 2020, vingt-deux millions d’emplois non-agricoles ont été détruits, soit une baisse jamais enregistrée jusqu’alors. Le rétablissement fût tout aussi fulgurant, puisqu’en juillet 2022 le stock d’emplois a totalement été recouvert. En comparaison, il aura fallu respectivement environ 4 et 6 ans pour retrouver les niveaux antérieurs aux récessions de 2000 et 2008. La crise sanitaire a par ailleurs mené à des mutations sociétales. Le taux de participation au marché du travail a reculé et n’a jamais récupéré son niveau de fin 2019. Plusieurs facteurs peuvent partiellement expliquer ce phénomène, à l’instar des départs en retraite anticipée, des restrictions sanitaires, d'une réévaluation des plans de carrière, ou encore d'une moindre immigration. En parallèle, le taux de démission n’a jamais été aussi élevé, et illustre ce que l’on nomme désormais « la grande démission ». Ce terme ne fait toutefois pas l’unanimité, certains économistes jugeant cela comme typique d’une forte reprise économique. Quoi qu’il en soit, le marché du travail américain poursuit son expansion et continue de surprendre, comme en témoignent les derniers chiffres de créations d’emplois non-agricoles la semaine dernière (+263 000 vs +250 000 attendus). En outre, les salaires progressent de 5 à 7 % sur un an (selon l’indicateur retenu), et les inscriptions hebdomadaires au chômage gravitent en moyenne autour d’un niveau équivalent à celui de la période 2016-2019.

La Fed n’était plus habituée à une telle situation. Lors de la décennie précédente, le taux de chômage était faible, sans que cela n’entraîne pour autant de poussées inflationnistes. La courbe de Phillips avait « disparu », semble-t-il, pour des raisons structurelles : mondialisation, marché du travail plus flexible, ancrage des anticipations d’inflation… Coïncidence ou non, l’inflation et les salaires progressent ces derniers mois en conjonction avec un faible chômage (3,5 %). Le taux d’emplois vacants – qui cristallise la tension sur le marché du travail – se situe à un niveau sans comparable historique et contribue à remettre la « courbe de Beveridge » mentionnée plus haut au cœur du débat.

Pour juguler une partie des pressions inflationnistes, la Fed doit donc apaiser ce marché du travail, quitte peut-être à en « faire trop ». Les chiffres de l’emploi sont donc devenus l’une des boussoles des investisseurs, pour tenter de résoudre l’équation du taux terminal. Preuve en est, la baisse surprise d’un million d’offres d’emplois vacants en milieu de semaine dernière a redonné des couleurs aux marchés. Ceux-ci se sont ensuite retournés avec la vigueur du rapport de l’emploi en fin de semaine. La Fed pourra-t-elle assurer un « atterrissage en douceur » de l’économie ? Pour ce faire, elle devra combiner la baisse du taux de vacance avec une décélération de l’inflation et une croissance économique positive. Pour remettre toutes les pièces du puzzle dans l’ordre, Jerome Powell doit donc s’atteler à un exercice périlleux, que presqu’aucun de ses prédécesseurs n’a réussi à réaliser. Présider la Fed en 2022 relève, là aussi, d’un emploi sous haute tension.

Florent WABONT, Economiste