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Jerome Powell : le big flip(pe) ?

La semaine dernière, Jerome Powell (président de la Fed) a de nouveau opéré un virage dans son discours, comparable à la figure de skateboard portant le nom de big flip, qui consiste à faire tournoyer sa planche dans plusieurs directions.

Trois « mauvaises » données d’inflation auront suffi à immiscer le doute en lui concernant la trajectoire de la désinflation aux États-Unis, alors qu’il semblait témoigner d’une attitude victorieuse en décembre dernier. Ce changement de ton modifie les perspectives s’agissant du calendrier des baisses de taux, ce qui n’a pas manqué de se faire ressentir dans les anticipations des marchés. La peur d’un regain d’inflation est-elle fondée ? Cela signifie-t-il qu’il n’y aura pas de baisses de taux cette année, comme certains l’affirment ?

L’inflation américaine publiée sous l’ange du rapport CPI (Consumer Price index) le 10 avril dernier, a clairement été décevante. Elle est ressortie à 3,5 % sur un an en mars (vs 3,4 % attendu par le consensus), après 3,2 % en février.

Sa version cœur (hors énergie et alimentation) est quant à elle restée inchangée à 3,8 % (vs 3,7 %). Une dissection minutieuse permet toutefois de nuancer la situation. Comme depuis plusieurs mois, environ 2/3 de ces 3,8 % provient de la partie « immobilier », qui comprend prin-cipalement la composante « loyers », calculée avec un retard temporel certain, au regard de la détente observée sur les données réelles depuis deux ans. En mars, la surprise est venue d’une plus forte appréciation des frais hospitaliers, mais aussi et surtout des frais d’assurance et de réparation automobile. La hausse de ces derniers s’explique notamment par un phénomène de rattrapage lié à la progression des prix des véhicules ces dernières années.

La désinflation stagne, c’est un fait, mais doit-on pour autant craindre une réaccélération de l’inflation ?

À ce stade, nous pensons que non, et ce, pour trois raisons. Premièrement, et contrairement à la période 2022-2023, l’inflation est moins diffuse. Autrement dit, elle ne concerne plus autant d’items qu’auparavant. Deuxièmement, le marché de l’emploi américain se rééquilibre et nous assis-tons à une modération des salaires. Troisièmement, nous considérons que la consommation des ménages devrait être moins robuste au 2nd semestre, ramenant la croissance économique proche de son potentiel.

En outre, et comme évoqué à de nombreuses reprises, il subsiste une différence notable entre le CPI et le PCE (Personal Consumption Expenditures ) ,   q u i constitue la cible de la Fed. Rappelons donc que leurs méthodes de construction, le périmètre retenu, et les pondérations accordées à chacune des catégories, diffèrent. L’immobilier compte par exemple pour environ 40 % au sein du CPI, contre deux fois moins pour le PCE. Historiquement l’écart entre ces deux indices est en moyenne de 0,5 %, contre ~1% actuellement. Le graphique ci-contre  montre que l’évolution du PCE est plus favorable que celle du CPI.

Il en va de même concernant les services hors immobilier, qui pour le PCE ne prennent notamment pas en compte de la même manière les frais automobiles mentionnés plus haut. L’écart entre les deux mesures devrait rester élevé encore quelques temps, sans que cela ne remette en cause le phénomène de désinflation initié. Toutefois, et comme nous le mentionnions début janvier, cette différence de comportement relativement « inconfortable » entre les indices CPI et PCE perturbent la lecture de l’inflation sous-jacente…

Dans ce contexte, la Fed affiche désormais une plus grande prudence.

Cette « dépendance aux données » prônée depuis deux ans, dans l’optique de guider les décisions de politique monétaire, semble cependant se transformer en addiction. Chaque membre de la Fed, disposant d’un droit de vote ou non, y va de son commentaire à chaque nouvelle publication. Entre la possibilité évoquée d’une hausse de taux si la situation se détériore, celle d’aucune baisse du tout… la communication de la Fed devient inaudible et elle perd le sang-froid nécessaire à la prévision.

Compte tenu des éléments développés et de notre lecture du marché de l’emploi différente du consensus, nous envisageons une première baisse de taux en juillet, et trois au total en 2024. Sur les marchés, l’excès du début d’année en faveur de nombreuses baisses de taux rapides, a laissé place à l’excès inverse.

Seraient-ils également frappés par le big flip(pe)..?

Contenu rédigé par Florent Wabont, Économiste