Une loterie gratuite qui fait miroiter le gros lot : en combinant jeu d'argent et publicité ciblée, l'application Bravoloto gagne chaque jour l'attention de près de 200.000 joueurs, slalomant au passage entre les régulations de ces deux secteurs.
L'expert immobilier Stéphane Plaza, la chroniqueuse Enora Malagré, l'animateur Benjamin Castaldi, mais aussi les humoristes Rémi Gaillard, Marie S'Infiltre (de son vrai nom Marie Benoliel,ndlr), des stars de téléréalité et plusieurs Youtubeurs : tous ont recommandé à leur public l'installation de Bravoloto, un jeu de loterie sur mobile permettant d'espérer gagner jusqu'à un million d'euros en échange du visionnage de nombreuses publicités.
"On diffuse aujourd'hui 100 millions de vidéos (publicitaires) par mois à 1,5 million de visiteurs uniques. Il faut visionner une vidéo en entier avant de pouvoir valider une grille", explique à l'AFP Matthieu Leboucher, le directeur général de Marketluck, l'entreprise derrière la marque Bravoloto.
"Comme il n'y a pas de sacrifice financier de la part du joueur, on n'a pas de cadre légal, pas de régulation à respecter", ajoute-t-il.
"On va chercher de l'argent chez les gros annonceurs, chez des multinationales, et on le redistribue. On est des Robin des bois", renchérit le fondateur de Marketluck Prosper Masquelier.
Interrogé par l'AFP, le président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) Charles Coppolani confirme que "l'application n'entre pas dans le champ de la régulation" sur les jeux d'argent, mais s'étonne de la présence du logo de l'autorité sur la page d'accueil de Bravoloto (désormais supprimé).
"On n'est jamais allé vérifier leur générateur de nombres aléatoires. C'est une utilisation abusive de notre logo. Généralement, ce sont des sites illégaux qui font ce genre de choses", dit M. Coppolani à l'AFP.
De son côté, Marketluck assure qu'un huissier garantit la régularité des tirages.
- Risque d'addiction -
Les loteries gratuites "proposent des gains très importants sachant que la possibilité que ça arrive (toucher le pactole) est extrêmement faible, car la masse de joueurs n'est pas suffisante", analyse Christian Kalb, expert du marché des jeux, qui pointe le manque de transparence de cette application.
Concrètement, la probabilité de cocher tous les bons numéros est proche de celle des plus grandes loteries payantes (1 sur plus de 130 millions de possibilités) mais le jackpot (entre 25.000 et 50.000 euros) sera bien moindre. La plupart des gagnants repartent avec des bons d'achats ou réductions chez les partenaires, ou des sommes d'argent bien plus modestes.
Pour tenter d'obtenir les plus gros gains (jusqu'au million d'euros promis), il faut être très assidu et valider des grilles quotidiennement, comme la gagnante de la somme maximale décernée à ce jour (500.000 euros) qui avait joué entre 50 et 60 grilles par jour pendant plus de 10 mois, selon ses propres explications.
Pour Armelle Achour, présidente de l'association SOS Joueurs, cette mécanique est "un entraînement au jeu, un apprentissage". "Plus on commence tôt à jouer, plus on a de risques de développer une addiction", explique-t-elle à l'AFP, craignant que l'application n'ait un effet d'incitation sur les mineurs.
Bravoloto restreint l'inscription des mineurs, notamment pour respecter le règlement de Google qui interdit aux applications distribuées sur sa plateforme Android en France de leur proposer des gains. Et Apple interdit de son côté tout système de récompense en échange d'interactions (regarder des publicités, noter l'application, lancer l'application quotidiennement), y compris pour les majeurs.
Pour cette raison, l'application a disparu il y a quelques semaines du magasin d'application des appareils de la marque, qui représentent 15% de son audience, selon Prosper Masquelier.
Enfin, le modèle publicitaire de Bravoloto pose question au regard des règles sur la publicité ciblée. La Commission nationale informatique et libertés (Cnil) considère que le fait de "conditionner l'accès à un service au visionnage d'une publicité ciblée est susceptible de faire obstacle à la nécessité de recueillir un consentement libre", tel qu'il est requis dans la règlementation européennes, explique-t-elle à l'AFP.
- "Soutien moral" des casinos Partouche -
En créant Bravoloto fin 2016, Marketluck a apporté sur mobile un concept né sur le web dans les années 2000. Grâce à l'application, la société a enregistré 4,5 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2019, en croissance de 125% en un an, affirme à l'AFP le fondateur de Markeluck Prosper Masquelier, qui vise la rentabilité en 2020.
Si la société a pour l'instant cumulé les pertes, elle peut compter sur le soutien financier de son premier actionnaire Philippe Ginestet, à la tête des magasins Gifi, et sur le "soutien moral" du groupe de casinos Partouche, dont Prosper Masquelier est membre de la famille, et qui avait compté la startup parmi ses partenaires marketing jusqu'en 2017.
A l'issue d'un conflit de trois ans avec la FDJ qui lui reproche d'entretenir la confusion avec les marques Loto et Euromillion, Marketluck a été condamné mi-février par la Cour d'appel de Paris à lui verser 5.000 euros pour "concurrence déloyale" et 10.000 euros au titre des frais de justice, qui s'ajoute à une condamnation de 50.000 euros en première instance pour "parasitisme" et 10.000 euros de frais de justice.
Pour Prosper Masquelier, la page judiciaire est tournée et l'heure est à la "phase d'accélération". En plus de l'application principale renommée simplement Bravo, il vient de lancer une autre application nommée Bravospeed qui multiplie les tirages (toutes les trois minutes) et promet jusqu'à 5 millions d'euros de gains.
La société rêve déjà de conquérir l'Europe, puis les Etats-Unis, le "but ultime" car la publicité y est mieux rémunérée, moins régulée et omniprésente.
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