Carte de séjour pour médecins: une mesure saluée mais jugée insuffisante

Un titre de séjour va être créé pour répondre aux besoins des hôpitaux: si la mesure est saluée, elle pourrait cependant contribuer à assécher les pays de départ sans résoudre les difficultés d'attractivité ni atténuer la précarité des médecins étrangers, soulignent des professionnels.

Que prévoit le gouvernement ?

Dévoilé mardi, le projet de loi sur l'immigration porté par les ministres Gérald Darmanin (Intérieur) et Olivier Dussopt (Travail) prévoit en son article 7 l'instauration d'une carte de séjour pluriannuelle "talent - professions médicales et de pharmacie".

Ce titre s'adresse aux praticiens diplômés hors Union européenne, les Padhue, qu'ils soient médecins, sages-femmes, chirurgiens-dentistes ou pharmaciens, -mais pas les infirmières- "dès lors qu'ils sont recrutés par un établissement de santé public ou privé à but non lucratif". Il bénéficie aussi à leur famille.

Deux cas de figure sont prévus. Soit le professionnel ayant un contrat de travail d'au moins un an, n'a pas encore passé les épreuves anonymes de vérification des connaissances (EVC), et il bénéficie d'un titre de séjour de 12 mois, qui ne pourra être prolongé que de 13 mois en cas d'échec à ces examens. Soit il a réussi ces EVC, et il obtient une carte "talent - professions de santé" d'une durée de quatre ans.

Ce dispositif vise à répondre aux besoins de recrutement des hôpitaux, alors que "toutes les opportunités autorisant l'exercice de professionnels étrangers qualifiés ne peuvent actuellement être saisies par les établissements", faute d'un titre de séjour adapté, note le gouvernement dans l'exposé des motifs du projet de loi.

Un moyen de lutter contre la précarité des médecins étrangers ?

Cette disposition "peut être judicieuse et créer une ouverture vers l'emploi, donner des perspectives. A condition d'assouplir toute la procédure en vue d'exercer pour les Padhue, car cette mesure seule ne servira pas à grand-chose", estime auprès de l'AFP François Henry, secrétaire général de l'APSR, l'association d'accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France.

Outre la "barrière de la langue", ce professionnel met en avant la question des épreuves de connaissances. "En 2022, aucun EVC n'a été organisé et pour 2023 on n'a même pas de date, donc on a déjà beaucoup de dossiers à écluser", alerte-t-il.

"Toute décision qui vise à faciliter la situation des Padhue est la bienvenue, tant il y a un manque terrible de médecins en France", souligne pour sa part Djamel Zekraoui, porte-parole d'un syndicat représentant ces quelque 5.000 praticiens à diplôme hors UE. "Mais la problématique du titre de séjour n'est rien par rapport à celle de la reconnaissance des diplômes et de la lenteur administrative, qui fait que ces médecins sont maintenus en situation de précarité".

Des milliers de praticiens "qui travaillent de façon autonome, le plus souvent dans des déserts médicaux, mais ne sont pas reconnus administrativement comme médecins à part entière", déplore ce responsable syndical.

Répondre au manque de médecins... en asséchant les pays de départ ?

Président exécutif de l'intersyndicale Avenir hospitalier, Yves Rébufat voit surtout dans ce nouveau titre de séjour une "mesurette" qui pose question: "On vide les pays étrangers de leurs médecins pour essayer de combler le déficit de formation qu'on peut avoir en France".

Le patron de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), Didier Leschi, le dit de manière moins abrupte. Les médecins incités à venir, "ce sont des personnes pour lesquelles on n'a pas investi pour leur formation et qui peuvent manquer dans les pays de départ", a-t-il commenté mercredi sur Europe 1.

Il faut former davantage de médecins en France, soulignent à l'unisson les professionnels, en relevant que la suppression du "numerus clausus" à l'entrée en deuxième année d'études de médecine en 2021 n'a pas mis fin à toute sélection, loin s'en faut.

"L'accès reste beaucoup trop sélectif", souligne Norbert Skurnik, de la Coordination médicale hospitalière (CMH). En pointant un autre écueil: la difficulté de l'hôpital public à attirer des médecins, "en raison des faibles rémunérations et de la pénibilité", et de les garder. Y compris certains praticiens à diplôme étranger.