La tronçonneuse gronde, couvrant le bruit des oiseaux. Une odeur de sciure se mêle à celle de l'humus. Le sol est encore gorgé d'humidité en cette mi-juillet, sous le couvert de jeunes chênes - à peine 70 ans.
"J'aime quand c'est bien bien propre, avec des piles bien faites", sourit Adrien Treille, casque antibruit sur la tête.
Le bûcheron perce une trouée dans la parcelle de feuillus de 12 hectares. "Ce sera la piste principale pour les engins" qui viendront récolter le bois. Il débite les troncs en grands rondins d'environ 2 mètres et regroupe en tas les branchages plus fins. Ce bois donnera des meubles, des bûches ou de la pâte à papier.
Cette parcelle privée - comme 75 % des 17 millions d'hectares de la forêt française métropolitaine - est gérée par la coopérative Unisylva, qui regroupe plus de 13 000 adhérents et commercialise un million de m3 de bois par an auprès de ses 800 usines clientes.
"Historiquement, l'usage principal du bois dans cette région était de fournir de l'énergie. La demande a baissé après-guerre et des parcelles de chênes comme celle-ci ont évolué toutes seules. Ici la dernière coupe remonte à 70 ans", raconte Benoît Rachez, directeur général d'Unisylva.
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Marquage rouge
L'heure est venue de couper certains arbres. "La coupe est un acte de gestion qui résulte d'un travail d'analyse du terrain et du climat, et d'une grande humilité : il faut s'adapter", dit-il.
La coupe a trois fonctions, explique-t-il : "produire un bois d'oeuvre de qualité", "favoriser la lutte contre le changement climatique en dynamisant la croissance du bois" et "préserver la biodiversité".
Il explique à ses adhérents qu'une forêt entretenue et exploitée sera "plus résiliente" face aux chocs (tempêtes, sécheresses, maladies) et stockera "plus de carbone" si elle est en bonne santé.
Une forêt toujours en croissance
Et il y a urgence, rappelle-t-il, dans une forêt française toujours en croissance mais où le taux de mortalité des arbres a grimpé de 80 % en dix ans selon l'Institut national géographique (IGN).
En France, les prélèvements de bois représentent 67 % du volume produit annuellement par la croissance des arbres. Dans une étude publiée en mai, l'IGN estime qu'à l'horizon 2050, les peuplements renouvelés - car dépérissants - pourraient présenter "un stockage de carbone à l'hectare deux fois supérieur aux autres peuplements". Le travail du bûcheron est minutieusement préparé.
Armé d'une bombe de peinture, Emmanuel Patigny, directeur de l'agence Limousin d'Unisylva, marque de rouge les arbres qui seront abattus, pour favoriser la croissance d'un chêne plus vigoureux et "bien droit". Il épargne un hêtre tout proche qui génère de l'ombre au pied du chêne, ce qui évitera la reprise de bourgeons altérant l'aspect du bois.
"Syndrome du boxeur"
Moins de 100 mètres plus loin, des chênes plus élancés s'épanouissent. La circonférence des troncs est d'environ 110 centimètres, soit 40% de plus que dans la première parcelle. "Ces arbres ont exactement le même âge, mais ici, on a fait des coupes d'amélioration", explique Emmanuel Patigny.
Pour Dominique Couraud, propriétaire de quelque 340 hectares dans la région, il est désormais "indispensable" d'être conseillée.
"Avant on pouvait se laisser aller à ses goûts et ses intuitions. Aujourd'hui, il faut penser technique, faire des analyses de sol, tenir compte des projections climatiques", affirme l'adhérente d'Unisylva.
A quelque 200 mètres de la précédente parcelle, des arbres plus chétifs perdent leurs feuilles. Mauvaise passe après la sécheresse de 2022 ou dépérissement plus profond ?
Pour Cyril Cabret, gestionnaire forestier, il faut trancher : "Faut-il reboiser ou ne rien faire - ce qui est aussi un acte de gestion".
Pour cela, la coopérative applique le "protocole Dépéris", qui permet notamment d'évaluer la santé du houppier (sommet) et le nombre de branches mortes, associé à des analyses de la profondeur et de l'acidité du sol.
Verdict: trop de branches mortes, sol "superficiel" et "acide". Il faudra réfléchir à implanter une autre essence car "le chêne n'est plus adapté", regrette Benoît Rachez. "Il est victime du syndrome du boxeur: il prend des coups, il encaisse, et un jour il lâche, KO".
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Avec AFP.