Majdouline Sbai, sociologue de l’environnement et vice présidente de Fashion Green Hub, communauté d'entreprises qui élaborent des projets de mode durable, explique quels sont les enjeux écologiques et éthiques du t-shirt et quelles sont les alternatives que le consommateur peut adopter pour s’habiller durablement.
Que symbolise le t-shirt ?
À l'origine, le t-shirt est un maillot de corps. Historiquement, ce vêtement était porté par les militaires, il a été ensuite adopté par tout le monde. Aujourd’hui, il s’agit de quelque chose d’universel que l’on peut trouver à très bas coût.
Quels sont les impacts d’un prix si réduit ?
Fabriquer un simple t-shirt en coton nécessite de nombreuses phases de travail. D’abord, il faut cultiver le coton et ensuite le filer, le tisser, le confectionner et l’ennoblir. Même un simple t-shirt exploite beaucoup de ressources naturelles, notamment l’eau.
Selon les estimations, il faudrait 2700 litres d’eau pour faire un t-shirt."
Aujourd’hui une grande partie du coton est cultivée de manière conventionnelle, c'est-à-dire avec des pesticides. Un quart des pesticides du monde sont utilisés pour la culture du coton, cela expose les ouvriers qui travaillent dans ces champs à des produits chimiques. Il faut aussi beaucoup d’énergie pour faire tourner des machines qui font du fil puis des tissus et des toiles. Au moment de la confection, un certain nombre de pays exploite leur main d'œuvre. Le t-shirt est souvent fabriqué en coton, sa culture est liée à l’histoire de l’esclavage, depuis les champs de coton aux États-Unis jusqu’au drame contemporain des Ouïghours.
Avec toutes ces informations à disposition, pourquoi continue-t-on de consommer ce type de produit ?
La crise écologique face à laquelle nous sommes dépasse notre entendement. Jamais l’humanité n’a été confrontée à une crise d’une telle ampleur, nous avons du mal à nous figurer comment agir. Il y a une expression qui dit “Nous ne croyons pas ce que nous savons.” Nous savons qu’il y a une crise écologique face à laquelle nous devons adopter d’autres comportements mais nous sommes dans une forme de fuite. Ce phénomène s’observe chez beaucoup de jeunes qui vont à la marche pour le climat, mais qui, quelques heures plus tard, vont faire du shopping dans un magasin qui a des pratiques contraires à l’éthique et à l’écologie.
Comment faire sa transition vestimentaire en commençant par le t-shirt ?
Il est indispensable que cette transition commence par un changement au niveau des marques et des enseignes qui doivent modifier leurs pratiques. Elles possèdent des outils marketing très puissants pour donner envie aux gens d’acheter un produit plutôt qu’un autre. Il est difficile pour un consommateur de ne pas céder à cette tentation. La réglementation doit évoluer pour être plus exigeante sur les matières utilisées et le respect des droits humains.
De son côté, le consommateur doit réfléchir à quel besoin correspond chacun de ses achats, s’il a besoin d’un t-shirt pour pratiquer du sport ou pour s’habiller au quotidien. Il faut aussi avoir l’assurance de pouvoir le porter très longtemps car ce qui réduit le plus l’impact d’un produit, c’est l’usage. Le gaspillage des vêtements jamais portés est un des grands problèmes de la mode. Un t-shirt doit être robuste et avoir une qualité qui supporte les lavages. Il faut se tourner vers des matières labellisées, notamment par l’Écolabel Européen qui garantit que 95% du coton est biologique. D’autres labels de ce type sont à retrouver sur le site de l’Ademe.
Quelles matières sont à favoriser pour les t-shirts ?
Il existe des alternatives au coton qui sont radicalement meilleures pour l’environnement, comme le lin et le chanvre. Ces matières sont à privilégier. Elles nécessitent très peu d’eau, pas de pesticides et sont produites en Europe. Aujourd’hui l’enjeu est de transformer et commercialiser ces matières localement, en France ou en Europe. Cette filière doit être reconstruite.
Est-ce que le recyclage est une bonne pratique ?
Aujourd’hui, pour qu'un t-shirt soit considéré comme écologique, il faut qu’il soit recyclable. Sa fin de vie doit être pensée dès sa conception. Idéalement, il faudrait un circuit fermé, dans lequel seulement les matières recyclées seraient utilisées pour refaire des t-shirts. La présence de polyester pose problème car elle rend le recyclage du produit plus difficile. Il y a des choix à faire au moment de la conception du t-shirt pour qu’il soit davantage recyclable. Le rôle des marques est de faire en sorte que leurs vêtements soient 100% recyclables. Ils doivent investir dans la recherche et le développement pour créer de nouveaux outils.
Il existe aussi des matières compostables, labellisées cradle-to-cradle, qui peuvent directement être remises dans la terre et se décomposer dans une durée raisonnable, sans polluer les milieux. Ce sont des produits qui sont en harmonie avec nos écosystèmes et cela évite d'accumuler des déchets textiles.
Une interview réalisée en partenariat avec France Inter. Écoutez la chronique Social Lab ici.
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