91% des 18-24 ans suivent des influenceurs sur les réseaux sociaux.
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Culture

Consommation, éthique, environnement... Les influenceurs feront-ils leur transition ?

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Surconsommation, arnaques et même affaires judiciaires... Ces derniers mois, le monde de l'influence perd de sa superbe. Malgré un sensible retard sur les sujets de transition écologique, sociale ou responsable, le secteur est aujourd'hui poussé sur le chemin par l'opinion et depuis peu, par un cadre légal. L'évolution vers des pratiques plus vertueuses semble se mettre doucement en ordre de marche. 

Derrière la vitrine Instagram, des "bad buzz" à répétition. Le monde de l'influence, rythmé par les paillettes, le glamour, les "lifestyles" idylliques, les "feeds" artistiques, fait aussi recette grâce aux placements de produits parfois douteux. Des jeux concours pour remporter un aller/retour express à l'autre bout du monde, des codes promo pour une enseigne de fast fashion, des publicités frauduleuses pour des formations de trading en ligne, des opérations de médecine esthétique ou encore des contrefaçons d'articles de luxe sont monnaie courante sur les réseaux sociaux. 

Un impact numérique conséquent 

Selon une étude inédite sur le sujet, menée par Footsprint et 1000heads parue au mois de mars, l'impact carbone généré par les publications d'un influenceur suivi par 3 millions de personnes sur l'ensemble de ses réseaux sociaux équivaudrait à 481 allers-retours Paris-New York sur une année. 

Considérant l'ampleur que prend ce métier encore nouveau et les dérives qui en découlent, certaines voix s'élèvent pour tenter de rendre le secteur de l'influence plus vertueux. Au point que le sujet a finalement gagné l'hémicycle de l'Assemblée nationale. 

La politique s'en mêle

Le 30 mars dernier, les députés ont adopté un texte de loi visant à encadrer la pratique du métier. "C'est un travail transpartisan qui a été mené, visant à réguler l'influence : c'est à saluer car c'est la première fois que l'on aborde ce sujet qui était jusqu'ici hors des radars", résume la députée écologiste Lisa Belluco. Si les mesures inscrites au texte relèvent pour beaucoup de dispositions déjà existantes - notamment au sein de la loi EVIN -, leur application au secteur de l'influence rend ce texte inédit. Pour Audrey, qui tient le compte Instagram @vosstarsenrealite, "cette loi va dans le bon sens puisqu'elle définit un statut juridique qui n'existait pas. C'était absolument nécessaire". 

C'est un signal intéressant de voir que le sujet gagne la sphère politique." - Carla Monzali, cofondatrice du collectif Paye ton influence

Dans le détail, ce nouveau cadre légal entend surtout protéger le consommateur : il prévoit par exemple l'interdiction de la promotion de la chirurgie esthétique, de certains produits financiers, de la contrefaçon, contraint à la mention "images retouchées" sur les photos et vidéos filtrées... Si l'éthique commerciale des influenceurs et agences devrait alors faire un pas en avant, les questions relatives à la lutte contre le réchauffement climatique ou la transition écologique restent en revanche à la marge. "Dans le texte, tel qu'il est sorti, il n'y a rien dessus", regrette la députée qui, lors des débats a déposé un amendement en ce sens finalement rejeté. "La proposition - qui découlait de la Convention citoyenne pour le climat - était d'interdire la publicité de produits les plus climaticides, qui ne seraient pas alignés avec les objectifs de l'accord de Paris". Problème : "Nous n'avons pas les moyens aujourd'hui de qualifier ces produits". Une analyse partagée par Carla Monzali, cofondatrice du collectif Paye ton influence. "Le secteur de la publicité traditionnelle devrait avant tout être beaucoup plus encadré sur ces sujets. Cela paraît donc utopique d'exiger une telle mesure du secteur de l'influence qui, pour sa part, commence tout juste à être réglementé, concède-t-elle. Mais c'est tout de même un signal intéressant de voir que le sujet gagne la sphère politique. Peut-être que dans quelques années, la proposition passera". 

Une avancée louable donc, mais encore timide et peut-être tardive. "Il est certain que ça ne va pas assez vite. Les premiers ‘bad buzz’ sur les réseaux sociaux remontent au moins à 2018... On est en 2023 !", affirme Audrey. En outre, si le texte a passé l'échelon de l’Assemblée, reste toujours à l’entériner. Quand ? "Cela va nécessiter un certain nombre de décrets d’application, mais on ne sait pas si c’est à l'agenda de l'exécutif", rappelle la députée Lisa Belluco.

Le vent tourne pour le secteur 

Malgré tout, le texte témoigne assurément d’un changement de cap dans le paysage de l'influence : le vent tourne et les consciences s'éveillent. "Tous les secteurs font plus ou moins leur transition et l'influence a un énorme retard là-dessus. Mais ce que l'on observe, c'est que le sujet est de plus en plus mis en avant et les attentes en termes de transparence et d'engagement écoresponsable sont de plus en plus grandes de la part des internautes et des communautés... Les choses évoluent lentement, mais elles évoluent", analyse Carla Monzali.

À l'image du collectif Paye ton influence, on doit sans doute ces petites victoires à ces acteurs qui, dans une certaine mesure, se font "lanceurs d'alerte" sur ces sujets. Après avoir fait ses armes au sein du groupement d'étudiants "Pour un réveil écologique", Carla Monzali a lancé le collectif aux côtés d'Amelie Deloche en 2021. "On voulait dépasser le cercle des convaincus pour parler aux gens qui sont moins sensibilisés à ces questions. À nos yeux, les influenceurs sont des leadeurs d'opinion, ils ont un grand pouvoir de prescription et donc une grande responsabilité. S'ils le veulent, ils peuvent être un formidable levier de transition". La mission de Paye ton influence donc, provoquer "le réveil écologique" de l'ensemble du secteur, des créateurs de contenus en passant par les agences mais aussi "les marques qui ont recours au marketing d'influence". La méthode : éduquer. Via le compte Instagram @payetoninfluence, qui revendique aujourd'hui quelque 25 000 abonnés, le collectif interpelle les concernés en usant de pédagogie : "Le plus important est de vulgariser le sujet en s'appuyant sur des sources solides. D'expliquer par exemple à l'influenceur combien de tonnes d'équivalent CO2 sont générées par le voyage qu'il propose en jeu concours à ses abonnés".

Si la ligne éditoriale de Paye ton influence relève prioritairement des sujets environnementaux, Audrey pour sa part, s'attaque en premier lieu à la protection du consommateur. Son compte Instagram @vosstarsenrealite, lancé en 2019, est aujourd'hui suivi par 157 000 personnes. "Lorsque j'ai découvert les réseaux sociaux, l'influence et le business des placements de produits, je me suis rapidement rendue compte que la plupart d'entre eux usait de pratiques commerciales trompeuses. J'ai donc décidé de dire aux gens : 'Attention à ce que vous achetez'". Depuis, elle relève quotidiennement les différentes dérives et contenus problématiques postés en ligne par les influenceurs. 

D'un côté comme de l'autre, le but est le même : informer. En revanche la méthode est différente. Pour la seconde, le discours s'adresse au consommateur : "Je ne tague jamais les influenceurs sur mes posts, je ne les interpelle pas, au risque d'inciter au harcèlement. Mon seul but est que le consommateur se protège", affirme Audrey. 

Comment se protéger des dérives sur les réseaux sociaux ?  

"Avant tout, il faut écouter le discours, notamment lorsqu'il semble trop vendeur. Promettre de perdre 25 kg en trois semaines en prenant des gélules, ce n'est pas possible. Ensuite, il faut visiter le site Internet de la marque en question, vérifier les mentions légales, les réglementations générales de ventes, le formulaire de contact en cas de litige, la politiques de confidentialité concernant les données personnelles... On peut également faire une recherche image sur Google, ce qui doit nous alerter si l'on retrouve la même photo sur d'autres sites. Enfin, on peut également se rendre sur la plateforme gouvernementale SignalConso pour signaler un problème avec une marque", résume Audrey. 

Autre outil mis en place en 2022, le "Certification d'influence responsable", délivré par l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Celui-ci s'apparente à une formation, constitué de différents modules et finalisé par un test de connaissances pour les influenceurs volontaires. On y apprend les bonnes pratiques du métier, la réglementation en matière de promotion d'un produit, la déontologie concernant la prise de parole sur certains sujets comme l'alcool, l'automobile ou encore le développement durable. "C'est une démarche d'auto-formation pour les influenceurs et c'est une bonne chose de voir qu'ils utilisent les outils à leur disposition", admet Carla Monzali. 

Les influenceurs sont-ils prêts à faire évoluer leurs pratiques ?

Une "bonne base" certes, mais reste à savoir "ce que l'on met derrière la mention 'responsable'", rappelle-t-elle. "Obtenir le certificat mais continuer à faire des placements de produits pour Shein, une marque d'ultra fast fashion extrêmement problématique, pose question". 

Les influenceurs ont non seulement le pouvoir de promouvoir un mode de vie bas carbone mais également de rendre cela attrayant, de sortir de cette idée que l'écologie serait basée sur des contraintes, une diminution automatique de notre bonheur..." - Carla Monzali, cofondatrice du collectif Paye ton influence

Si certains prennent le train en marche et opèrent quelques changements dans la pratique de leur métier, ce type d'influenceurs semble pour l'heure relever d'une petite minorité. "L'influence telle qu'on la connaît aujourd'hui reste très peu éthique, tant en termes d'environnement que de sujets sociaux. Or, les influenceurs ont non seulement le pouvoir de promouvoir un mode de vie bas carbone mais également de rendre cela attrayant, de sortir de cette idée que l'écologie serait basée sur des contraintes, une diminution automatique de notre bonheur...", analyse Carla Monzali. "Véhiculer des imaginaires sur les réseaux sociaux qui sont délétères pour l'environnement a un impact sur l'ensemble de la population : cela fait émerger une conception du bonheur qui se trouverait dans la surconsommation ou les voyages à l'autre bout du monde. Ce n’est pas compatible avec l'urgence écologique", alerte-t-elle.  

Mais les influenceurs sont-ils prêts à l'entendre ? Chez Paye ton influence, on fait face à "tout type de réaction". Toutefois "globalement, ils ont tout à gagner à dialoguer avec nous et écouter notre discours". Carla Monzali cite par exemple un cas de greenwashing identifié par le Collectif, dont "le post en question a été supprimé" par l'auteur. "Dans d'autres cas, notamment lorsque l'on met en avant des modes de vie peu sobres, nous sommes parvenus à ouvrir le dialogue avec des créateurs de contenu pour échanger sur le sujet". Du côté d'Audrey, ce type de "happy end" semble plus rare : "Il y a très longtemps, une influenceuse a supprimé son post après avoir vu ma publication qui relevait un placement de produit interdit. Mais ce n'est pas arrivé souvent". 

Comment expliquer cette réticence ? Les influenceurs risquent-ils de perdre des abonnés en faisant évoluer leur ligne éditoriale ? "Oui et non" pour Carla Monzali puisque les "audiences sont de plus en plus sensibilisées" et les faux-pas, rapidement condamnés. En revanche, la question de la rentabilité pourrait expliquer ces freins. "Les marques qui rémunèrent aujourd'hui ne sont pas celles qui sont les plus engagées. Arrêter les placements pour ces marques représente donc forcément une perte de revenu". Interrogée sur sa collaboration avec Shein, c'est en effet un argument avancé par l'influenceuse Cloé Cooper, auprès de l'animateur Sam Zirah : "Aujourd'hui je fais entre quatre et sept partenariats par mois. Il faut bien que je puisse gagner ma vie puisque c'est un métier". 

De l'autre côté du spectre certains exemples, si marginaux soient-ils, sont éloquents. Des "virages à 180 °C", rares mais qui ont le mérite d'exister, souligne Carla Monzali, à l'image de Vinz Kanté devenu militant écologiste ; de Tolt, influenceur voyage qui promeut désormais le tourisme de proximité ; ou encore d'EnjoyPhoenix, youtubeuse beauté qui s'est détournée de certaines marques partenaires qui la poussaient à la surconsommation

La machine est en marche

Malgré tout, "il n'y a pas besoin d'être parfait pour faire mieux", rappelle Carla Monzali. Si les évolutions sont poussives au regard de l'ampleur du phénomène, elles semblent toutefois se diriger sur le bon chemin. Dans un contexte global de quête de transparence de la part des internautes, un nouveau mouvement a par exemple vu le jour. On parle en France de "désinfluence" : une démarche qui consiste pour le créateur de contenu "à dire au consommateur 'n'achète pas ce produit car il n'en vaut pas la peine'", remplaçant l'habituelle ritournelle du placement de produit visant à vanter ses atouts. Mais attention, alerte-t-elle : "La désinfluence s'apparente à une 'trend' née sur Tik Tok. Il y a deux courants : certains se l'approprient dans l'optique de limiter la surconsommation, d'autres en revanche appellent à consommer un autre produit low cost à la place. Là, on n'est pas sur une démarche qui encourage la sobriété". 

Quoiqu'il en soit, si la route est encore longue pour rendre le métier plus vertueux, chez Paye ton influence, on "préfère voir le verre à moitié plein". "Je suis persuadée qu'il y a de la place sur les réseaux sociaux pour ceux qui souhaitent incarner ces changements. Les choses avancent et je suis très optimiste pour la suite. J'ai espoir que le paysage de l'influence continue d'évoluer dans le bon sens". 

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