De nouveaux mots fleurissent dans le champ de l'écologie.
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Culture

"Décroissance", "bifurcation", "résilience"...que nous disent les mots de l'écologie ?

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Le champ de l’écologie fourmille de mots et d’expressions qui sont rarement neutres. Afin de décrypter leur sens, et mieux comprendre leur utilisation dans certains domaines, ID a fait appel à Julien Rault, maître de conférences en linguistique et stylistique à l’université de Poitiers. De l'"écologie punitive", en passant par la notion de "durabilité", au "vivant", il nous livre ses réflexions sur plusieurs termes fréquemment rencontrés. 

Dans la sphère de l’écologie, de nouveaux mots voient le jour. Utilisés aussi bien dans le monde politique, économique que militant, ceux-ci regorgent de sens et d’implicites. Pour ID, le linguiste Julien Rault décortique ce qui se cache derrière plusieurs de ces termes. Interview. 

On entend depuis plusieurs années parler d’"écologie punitive". Que penser de cet usage ? 

Le choix de ce mot est sans doute lié à une certaine conception de la liberté qui est très individualiste et tributaire du libéralisme. Derrière cet usage, il y a l’idée que la prise en compte des enjeux écologiques est nécessairement contraignante, qu’elle entrave la liberté. Mais la contrainte, quand elle est juste, indispensable et vitale, peut-elle vraiment s’opposer à la liberté ? La question se pose. Ensuite, si on parle aujourd’hui d’"écologie punitive", c’est parce que tout un récit autour d’une écologie autoritaire, liberticide, voire fanatique, a été construit. Cela est visible à travers les formules caricaturales telles que "ayatollah de l’écologie", "fatwa contre les automobilistes".
A l’écologie punitive s’oppose aujourd’hui la notion de "protectionnisme écologique", qui invite à reconnecter écologie et économie en soulignant que les impératifs écologiques peuvent aussi servir les enjeux économiques, notamment lorsqu’ils s’opposent aux traités de libre-échange, à la concurrence... 

Les termes d'"écologie populaire" ou "positive" émergent également... 

On les retrouve en effet dans les champs politiques. Un parti politique a par exemple repris l’expression d’écologie positive pour son nom. Pour ses fondateurs, il s’agit d’écouter, d’échanger, d’avoir un discours réaliste. 

Le mot "écoresponsabilité" est aussi fréquemment utilisé que ce soit dans le monde politique ou économique. Quelle interprétation faites-vous de cet emploi ? 

On le retrouve en effet dans d'autres termes : écogeste, écocitoyen, écolabel ou encore écoterrorisme. Le préfixe "éco" a aujourd’hui une dimension presque marketing. Ensuite il y a le mot "responsable" qui peut susciter une forme de méfiance lorsque celui-ci est employé en politique, dans la mesure où plusieurs implicites peuvent être convoqués : au-delà de la dimension paternaliste, c'est une forme de déresponsabilisation du politique au profit d’une dimension individuelle et psychologique.
Donc, avec ce genre de formule, on a un peu l'impression qu’on labellise un concept qui porte sur le comportement individuel en le faisant reposer essentiellement sur des ressorts psychologiques, en évacuant toute dimension socio-politique.

Une autre notion a une connotative négative. Il s’agit du concept de "décroissance". Comment l’expliquez-vous ? 

C’est un mot dont le sémantisme est assez flou, qui se définit d'abord par opposition (comme la "démondialisation") et qui ne renvoie pas à un référent précis. Pour l’économiste Serge Latouche, il s’agit d’une mot obus, c’est-à-dire qu’il a plus vocation à interpeller qu’à porter une idéologie. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne peut pas servir une rhétorique ou qu’il n’aura pas d’effets. 

Dans le champ économique, des mots tirés de l’anglais gagnent du terrain, à l’image de "soutenabilité (sustainability)". Quel sens lui donner ? 

Il n’y a pas vraiment d’équivalent en français. En anglais, cela signifie ce que l’on peut maintenir, perpétuer ou défendre. La traduction française a plutôt un sens négatif. C’est ce que l’on peut tolérer, endurer. On dira par exemple d’un spectacle qu’il est difficilement "soutenable". Lorsque l’on utilise ce terme pour parler de croissance, les enjeux peuvent être tronqués. Est-ce qu’il ne serait pas plus juste de se demander si la croissance est souhaitable, comme le suggère le penseur Ivan Illich ? 

Parmi les nouveaux mots qui fleurissent, on retrouve le substantif "bifurcation". Quelle réalité reflète-t-il ? 

Il y a derrière l’idée de prendre des chemins de traverse, d’être dans une forme de rupture pour aller vers d’autres modèles, d’autres systèmes. Il propose une autre voie, plus radicale, par rapport au terme de "transition" qui a été abondamment employé, comme celui de "développement durable". 

Le mot "résilience" résonne également beaucoup ces dernières années... 

Pour moi, ce mot se fonde sur le sentiment d’inertie, au sens où nous avons le sentiment d'être à la fois dans l’immobilisme et dans le mouvement mais un mouvement sur lequel nous n’avons pas de prise. Le sentiment d'inertie convoque l'inéluctable qui peut nous amener à penser la notion de résilience, comprise comme l’acceptation de cette impossibilité, de cette impuissance impliquée par l’inertie. La résilience c’est le moyen de composer avec cette inertie. De consentir à cette inertie. Et donc de la perpétuer.
Pour l’économiste Thierry Ribault, "la politique de résilience a toutes les allures d’une implacable et déshumanisante ingénierie du consentement". Le mot résilience implique ainsi un retour au "même", une conservation de l’existant. Il rejoint toute la constellation des mots du statu quo, comme développement durable... 

Après avoir longtemps parlé de "protection de la biodiversité", on entend aujourd’hui l’expression de "préservation du vivant". Pourquoi ce changement de vocable ? 

Changer les mots permet de modifier notre grille de lecture et notre rapport au monde. On ne peut pas penser les choses si on a des mots trop orientés, connotés ou habités par des représentations anciennes. Avec le mot "vivant", on fabrique un substantif à partir d’un adjectif, avec un sens qui lui est propre. Dire le "vivant", cela ne veut pas dire les "êtres vivants". Cela n’a pas également la même force que la "vie" ou l’"existence". Mais en échappant aux binarismes, "nature" vs "culture", "humain" vs "animal", qui structurent notre imaginaire depuis longtemps, ce terme revêt une dimension plus inclusive et globale. Il témoigne d’une révolution dans la façon d’appréhender notre environnement. Le "vivant", ce sont aussi les arbres, les rivières, le sol... L’utilisation de ce mot permet ainsi de penser les interconnections et les interdépendances entre les différents écosystèmes. 

Face à cette créativité lexicale, d’autres mots semblent tomber en désuétude, à l’image de l’adjectif "vert". Pourrait-il disparaître du langage courant ? 

Cet adjectif, que l’on retrouve dans des expressions variées comme "croissance verte", "khmer vert", "verdissement", "greenwashing", est presque devenu un label marketing. Récupéré de toute part et utilisé dans tous les sens, il semble aujourd’hui un peu daté. Même s'il est bien identifié, il n’est plus nécessairement adapté, et semble presque un peu suspect. Même la couleur verte qui est employée par certaines marques ou entreprises pour verdir, en façade, leur image.
 

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