© Noah Silliman
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Quand la poésie se mêle d'écologie

Le magazine Lire de février 2018 consacre son dossier aux Fables de La Fontaine (et autres histoires courtes). Parmi les souvenirs d'enfance que nous partagent sept écrivains se trouve une réflexion utile de Denis Grozdanovitch. L'auteur du Petit traité de désinvolture (Éd. José Corti, 2002) ou du plus récent Génie de la bêtise (Éd. Grasset & Fasquelle, 2017) donne une lecture intéressante de sa fable préférée, Le jardinier et son seigneur.

Personnellement, je ne me souvenais pas de cette fable. Publiée dans le premier des trois recueils de La Fontaine, en 1668, elle narre l'histoire d'un villageois qui fait appel à son seigneur pour l'aider à lutter contre un lièvre qui ruine son potager. Le hic, c'est que le seigneur en question ne fait pas vraiment ce qu'il lui est demandé, bien au contraire... Voyez plutôt :

Un amateur du jardinage,
Demi-bourgeois, demi-manant,
Possédait en certain Village
Un jardin assez propre, et le clos attenant.
Il avait de plant vif fermé cette étendue.
Là croissait à plaisir l'oseille et la laitue,
De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet,
Peu de jasmin d'Espagne, et force serpolet.
Cette félicité par un Lièvre troublée
Fit qu'au Seigneur du Bourg notre homme se plaignit.
« Ce maudit animal vient prendre sa goulée
Soir et matin, dit-il, et des pièges se rit ;
Les pierres, les bâtons y perdent leur crédit :
Il est Sorcier, je crois. -Sorcier ? je l'en défie,
Repartit le Seigneur . Fût-il diable, Miraut,
En dépit de ses tours, l'attrapera bientôt.
Je vous en déferai, bon homme, sur ma vie.
- Et quand ? - Et dès demain, sans tarder plus longtemps ».
La partie ainsi faite, il vient avec ses gens.
« Çà, déjeunons, dit-il : vos poulets sont-ils tendres ?
La fille du logis, qu'on vous voie, approchez :
Quand la marierons-nous ? quand aurons-nous des gendres ?
Bon homme, c'est ce coup qu'il faut, vous m'entendez
Qu'il faut fouiller à l'escarcelle ».
Disant ces mots, il fait connaissance avec elle,
Auprès de lui la fait asseoir,
Prend une main, un bras, lève un coin du mouchoir,
Toutes sottises dont la Belle
Se défend avec grand respect ;
Tant qu'au père à la fin cela devient suspect.
Cependant on fricasse, on se rue en cuisine.
« De quand sont vos jambons ? ils ont fort bonne mine.
- Monsieur, ils sont à vous. - Vraiment ! dit le Seigneur
Je les reçois, et de bon cœur ».
Il déjeune très bien ; aussi fait sa famille,
Chiens, chevaux, et valets, tous gens bien endentés :
Il commande chez l'hôte, y prend des libertés,
Boit son vin, caresse sa fille.
L'embarras des chasseurs succède au déjeuné.
Chacun s'anime et se prépare :
Les trompes et les cors font un tel tintamarre
Que le bon homme est étonné.
Le pis fut que l'on mit en piteux équipage
Le pauvre potager ; adieu planches, carreaux ;
Adieu chicorée et poireaux ;
Adieu de quoi mettre au potage.
Le Lièvre était gîté dessous un maître chou.
On le quête ; on le lance, il s'enfuit par un trou,
Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie
Que l'on fit à la pauvre haie
Par ordre du Seigneur ; car il eût été mal
Qu'on n'eût pu du jardin sortir tout à cheval.
Le bon homme disait : « Ce sont là jeux de Prince ».
Mais on le laissait dire ; et les chiens et les gens
Firent plus de dégât en une heure de temps
Que n'en auraient fait en cent ans
Tous les lièvres de la Province.
Petits Princes, videz vos débats entre vous :
De recourir aux rois vous seriez de grands fous.
Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,
Ni les faire entrer sur vos terres.

Pour Denis Grozdanovitch, qui adore ce conte, la morale de cet apologue en 57 vers est à méditer à notre époque. Pour quelle raison ? L'écologie ! "Aujourd'hui, face au réchauffement climatique, on a tendance à faire appel aux technocrates, qui ne connaissent rien à la réalité du terrain. On veut employer les grands moyens, quand bien même ces derniers ne ménagent pas la nature. Prenez par exemple les champs de panneaux solaires : ils réchauffent la Terre et sont une absurdité écologique", détaille l'écrivain, pour qui nous devons nous méfier de l'esprit planificateur...

Une semaine après l'abandon de Notre-Dame-Des-Landes, alors que d'autres projets de cette ampleur sont sur le feu, cela donne à penser, non ? Et vous, quelle est votre fable de La Fontaine préférée ?