En arrivant par une rue étroite longeant la voie de chemin de fer, un potager collectif puis des petits jardins cultivés se perdent dans un enchevêtrement de végétation et de chemins de terre, c'est le Quartier Libre des Lentillères. Plus loin, d'anciennes fermes reconverties en habitat collectif, quelques cabanes en bois, des caravanes. "Il y a dix ans on a rouvert ce lieu, on lui a insufflé toute une vie", raconte Morgane, 34 ans, l'une des squatteuses. "S'il n'y avait pas eu une démarche d'occuper illégalement ces terres, aujourd'hui elles seraient sous le béton."
Ces "pratiques de désobéissance civile" sont aujourd'hui "les seules manières de préserver des endroits aussi précieux", poursuit cette cartographe de formation, férue d'autoconstruction et de graphisme, serveuse dans un bar à l'occasion lorsqu'elle a besoin d'argent. S'il n'y a pas de recensement précis, un peu moins d'une centaine de personnes, dont une moitié de migrants, vivent en permanence sur cette zone située à deux kilomètres du centre ville, qui s'étend sur près de 9 hectares, en majorité des terres cultivables.
Certains veulent "réinventer une paysannerie désirable, pour aller un peu contre l'agro-industrie et la malbouffe", indique Benjamin, un autre squatteur de 35 ans. Diplômé en action humanitaire, passionné de mécanique, il travaille aussi hors du quartier comme saisonnier dans les vignes.
Marché à prix libre
D'autres n'y habitent pas mais viennent cultiver un lopin de terre, se promener en famille, assister à un concert ou simplement se fournir en légumes au marché à prix libre. Au bout du quartier, au delà d'une grande parcelle où sont plantés des poireaux, un immeuble sort de terre : c'est la première phase d'un projet d'écoquartier. Le maire François Rebsamen (PS) a annoncé fin novembre l'abandon de la seconde phase, prévue sur la zone occupée.
"Ne croyez pas qu'il y a des gens ici qui défendent la nature, le maraîchage, et d'autres qui sont pour construire à tout va, même s'il reste encore 9 000 demandes de logement non satisfaites" dans la capitale bourguignonne, explique à l'AFP François Rebsamen. "L'écologie, je l'ai dans mes gènes", fait valoir celui qui n'a pas encore annoncé s'il se représentait en mars, mais dont l'ambition est de faire de Dijon une capitale verte européenne, à l'empreinte carbone réduite, et de la métropole "un système exemplaire d'alimentation durable en 2030".
Après dix ans d'occupation, le maire a ainsi accepté de laisser à ces terres leur caractère maraîcher. Elles pourraient d'ailleurs alimenter en circuit court, suggère-t-il, la cantine du collège voisin. Mais il refuse "l'urbanisation sauvage". "Les occupations de terre sont illégales, donc je suis prêt à passer un bail avec ceux qui s'inscriraient dans une démarche légale", dit-il, avant de prévenir : "S'il y en a qui continuent à occuper illégalement les lieux, je demanderai à ce qu'ils soient expulsés".
Surprise
Pris par surprise par l'abandon du projet immobilier, les squatteurs n'ont pas crié victoire pour autant. Leur assemblée, dans un communiqué, a indiqué n'avoir "pas d'opposition de principe quant à une forme de régularisation" mais refuse de voir disparaître la "vie collective" développée depuis les premières terres défrichées il y a dix ans, qui est à leurs yeux "une autre façon d'habiter la ville". "Une phase a été gagnée : l'abandon d'un grand projet inutile ou du moins peu désirable", se félicite Nora, 35 ans. Cette électricienne n'habite pas en permanence aux Lentillères mais participe à l'assemblée où se côtoient squatteurs, militants écologistes, anarchistes, ou simples jardiniers.
Tous doivent désormais se mettre d'accord sur la suite, un peu comme à Notre-Dame-des-Landes après l'abandon du projet d'aéroport, une "lutte soeur" pour les squatteurs dijonnais. Ils se laissent quelques mois pour y parvenir et ouvrir des discussions avec la mairie, avec laquelle il n'y a pour l'instant pas de contact direct. "On est dans une période de flottement, de flou, on ne sait pas ce qui va se passer", poursuit Nora, pour qui la décision de la mairie est "un changement de paradigme". Mais selon elle pas question de se diviser : "On espère un avenir ensemble, dans ce quartier".
Avec AFP.
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