Avec la recrudescence de catastrophes naturelles, le coût du changement climatique s’élèverait à 23 000 milliards de dollars d’ici 2050.
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Climat: comment continuer à assurer les entreprises ?

La crise climatique présente un risque systémique, tant pour la vie sur terre, que pour l’économie et la finance mondiale. C’est également tous nos systèmes d’assurance qui sont mis à mal. En tant que chercheuse pluridisciplinaire, hydrologue, conférencière internationale sur le climat, Emma Haziza nous livre ses analyses. La scientifique évoque non seulement les dommages causés sur les biens et entreprises, mais aussi les pistes de solutions. Elle insiste sur le rôle stratégique des entreprises et des acteurs des territoires dans la transition. Bonne nouvelle: les acteurs de la finance (et indirectement les épargnants) ont le pouvoir d’adapter notre économie au changement climatique.

"Chaque année, les records historiques sont dépassés. Les aléas climatiques se multiplient en fréquence et en intensité. Auparavant, les risques physiques territoriaux étaient évalués en termes probabilistes. Aujourd’hui, les statistiques n’ont plus leur place car toutes les constantes évoluent", décrit Emma Haziza, Présidente-Fondatrice de Mayane, centre de recherche-action pluridisciplinaire sur la résilience territoriale. Docteur de l’école des Mines de Paris, elle est l’une des pionnières françaises en matière d’adaptation du bâti face au changement climatique. "En France, lorsque ce ne sont pas des phénomènes d’inondations, ce sont les épisodes de sécheresses et de canicules de plus en plus graves. La succession des événements crée une actualité médiatique continue", constate-t-elle. Ces différents périls se traduisent par une augmentation de la sinistralité et du recours aux mécanismes d'indemnisation.

Explosion des catastrophes naturelles : un bilan alarmant

Avec la recrudescence de catastrophes naturelles, le coût du changement climatique s’élèverait à 23 000 milliards de dollars d’ici 2050. Ce sont des chiffres astronomiques évalués par Swiss Re, l’un des leaders mondiaux de la réassurance, dans une étude récente. Aucun pays n’est épargné. En France, "l’augmentation de la fréquence et du coût des évènements climatiques extrêmes peut poser à terme la question de l’assurabilité de certains risques", prévient l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) qui dépend de la Banque de France, dans son compte-rendu de test pilote climatique. Sur les cinq dernières années uniquement, le bilan humain, environnemental, matériel et économique est alarmant. Ne serait-ce que sur les bassins de la Seine et de la Loire, les crues de 2016 ont occasionné 1,5 milliard de dégâts. Les crues de 2018, moins importantes, ont coûté 200 millions en dommages. La même année, plus de 3 000 communes ont été concernées par l’état de catastrophe naturelle à cause de la sécheresse, y compris dans des régions jusque-là plutôt épargnées, comme le Grand-Est ou la Bourgogne-Franche-Comté. "En été 2019, des communes ont dû être alimentées par camions citernes, ce qui relevait il y a encore quelques années d’un scénario de science-fiction. Les agriculteurs ne sont pas les seuls impactés. On a pu observer des milliers d’habitations se fissurant, voire des pans de murs entiers s’effondrer en raison de la sécheresse des sols, croisée aux fortes canicules", poursuit Emma Haziza.

La sinistralité sécheresse de plus en plus coûteuse

 Ce phénomène, appelé "la sécheresse géotechnique retrait-gonflement des argiles" – à distinguer de la sécheresse agricole, représente l’un des risques les plus coûteux, mais aussi l’un des moins connus du régime des catastrophes naturelles, estime la Caisse Centrale de Réassurance (CCR), dans un rapport d’activité scientifique. La sinistralité sécheresse a coûté 12 milliards d’euros sur la période 1989-2018. C’est le péril qui occasionne le plus de pertes, après les inondations. Dans un rapport sur la gestion des risques climatiques, les sénateurs alertent également pour les décennies à venir : "Différentes études récentes (FFA, CCR) estiment que les dommages causés par la sécheresse devraient doubler, voire tripler d'ici le milieu du XXIème siècle".

Tous les secteurs touchés : massifier la transformation

Aucun territoire, ni secteur ne sera préservé des aléas climatiques : dommages aux bâtiments, aux matériels ou aux stocks, ruptures d'approvisionnements, arrêts d'activités… Actuellement, de nombreuses entreprises sont implantées en zone inondable. Les conséquences peuvent être désastreuses, allant jusqu’à la fermeture définitive. "Selon les zones, jusqu’à 40 % des entreprises mettent la clé sous la porte à cause d’une inondation". C’est l’un des constats du centre de recherche Mayane sur la résilience des territoires, qui forme de nombreux décideurs, des maires au préfet de département, en passant par les ministères. Ses équipes sensibilisent également les populations et les entreprises pour mieux prendre en compte les risques climatiques. C’est pour accélérer la résilience qu’Emma Haziza a cofondé Mayane Labs, une start-up qui utilise l’Intelligence Artificielle (IA) et la DATA pour massifier la transformation des entreprises et des habitats face aux premières conséquences visibles du changement climatique. Pour l’experte, l’heure n’est plus à l’atténuation, mais bien à l’adaptation.

Si la croissance n’a pas vocation à être infinie, elle devra être vertueuse. Les entreprises performantes de demain ne seront pas juste les mieux cotées. Ce seront celles qui montreront aussi le meilleur impact sociétal et, par conséquent, une meilleure acceptation sociale.

Privilégier l’adaptation des territoires 

 Selon Emma Haziza, les activités humaines ont déjà provoqué une augmentation trop importante d’émissions dans l’atmosphère. "Les politiques internationales d’atténuation cherchent à réduire les gaz à effet de serre (GES), mais leur impact ne sera visible que dans 30 ans environ, si elles s’avèrent effectives. C’est pourquoi nous devons désormais mettre l’accent sur les mesures d’adaptation", poursuit la chercheuse. Sur la quarantaine de GES dénombrés, les composés fluorés ont un pouvoir de réchauffement de 1 300 à 24 000 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone, et une très longue durée de vie. Ce n’est qu’un facteur d’incertitude parmi tant d’autres qui pousse certains chercheurs à privilégier l’adaptation. Cette dernière peut être définie comme "l’ensemble des ajustements des systèmes naturels ou humains réalisés en réponse aux changements du climat, afin d’en limiter les impacts négatifs". Ainsi, les équipes de Mayane accompagnent l’organisation humaine des territoires résilients de demain : "Ils resteront exposés aux phénomènes climatiques extrêmes, mais se seront adaptés avec des systèmes d’alerte fiables qui permettront aux populations d’anticiper et d’atténuer les dommages", décrit Emma Haziza.

Le Grand Défi des entreprises pour la planète

 Pour l’avenir des entreprises, l’enjeu de transition est indispensable dans tous les secteurs. S’adapter requiert de décarboner les activités, de créer des biens et services éco-socio-innovants, de développer des innovations plus frugales en ressources, ou certains processus technologiques le moins émetteurs possibles. Les opportunités sont nombreuses. Par exemple, dans les secteurs du bâtiment et de l’aménagement : les solutions d’efficacité énergétique de l’habitat, d’optimisation de la gestion de l’eau, de résilience des espaces côtiers pour faire face à la montée du niveau de la mer. "Si la croissance n’a pas vocation à être infinie, elle devra être vertueuse. Les entreprises performantes de demain ne seront pas juste les mieux cotées. Ce seront celles qui montreront aussi le meilleur impact sociétal et, par conséquent, une meilleure acceptation sociale", projette Emma Haziza. Convaincue du rôle des entreprises dans la lutte contre le dérèglement climatique et le recul de la biodiversité, la scientifique a accepté d’intégrer le Comité éthique et scientifique du "Grand Défi des entreprises pour la planète" (ex-Convention 21). Sa vocation est de formuler 100 propositions d’actions prioritaires pour décarboner l’économie française et aider la France à tenir ses engagements internationaux. Pour relever ce défi, l’initiative réunira pendant six mois, 150 représentants d’entreprises tirées au sort, répartis en trois collèges : salariés, dirigeants et investisseurs, dont le pouvoir est crucial pour accélérer la transformation de l’économie.

Des modèles plus vertueux poussés par l’ISR

L’exposition des entreprises aux risques climatiques est scrutée de plus en plus près par les gestionnaires d’actifs, qu’ils pratiquent historiquement la finance responsable, ou non. Ils analysent les coûts générés et les moyens mis en œuvre, de façon à orienter leurs investissements. Souvent précurseurs, les acteurs de l’ISR souhaitent accélérer la réallocation du capital vers les modèles plus vertueux, incarnant un véritable moteur de changement systémique. "Le rôle des investisseurs – sociétés de gestion, fonds de pensions, banques, assurances (etc.), apparaît incontournable dans la réorientation des actifs vers une économie moins carbonée, plus saine, plus humaine, plus résiliente. Derrière chaque flux financier, il y a un individu, un citoyen et donc un acteur du changement potentiel", conclut la scientifique.