Grand débat: à Marseille, colère contre "la banalisation de la médiocrité"

Pollution, immeubles insalubres, écoles délabrées, transports publics insuffisants: "à Marseille, il y a une banalisation de la médiocrité", accuse Kahouter Ben Mohamed, résumant la colère de quelque 200 participants au grand débat organisé au coeur des quartiers nord par la sénatrice socialiste Samia Ghali.

Dans l'assemblée, au centre culturel Mirabeau, au bord de l'autoroute A55 et à l'ombre des barres de la cité Consolat, aucun "gilet jaune" ne s'affiche. Mais de nombreux militants associatifs sont là, comme Mme Ben Mohamed, à l'origine du collectif "Marseille en colère" né dans le sillage de l'effondrement mortel de deux immeubles insalubres le 5 novembre dans le quartier populaire de Noailles.

Dans l'assistance, peu de jeunes, pas mal de retraités, beaucoup de parents d'élèves surtout. Des habitants venus de l'Estaque, ce "village" du nord de la cité phocéenne, ou des cités de la Busserine, la Savine ou la Castellane.

"J'aurais préféré que ce débat soit organisé au niveau de la mairie centrale, par Jean-Claude Gaudin", le maire LR de la ville, lance dès le départ Samia Ghali, ancienne maire de ce secteur qui regroupe les 15e et 16e arrondissements de la ville: "Nous sommes des citoyens comme les autres, nous avons le droit de nous exprimer".

Et la parole se libère. Anissa s'insurge face aux deux euros qu'il faut pour monter dans un bus qui n'avance pas, coincé dans les embouteillages. Tamara Beard, parent d'élève aux Borels, toujours dans le quartiers nord, ne comprend pas qu'il faille une heure pour emmener une classe au MuCEM, le musée à l'embouchure du Vieux Port, faute de métro ou de tram accessibles: "Quand serons-nous traités comme des habitants normaux ?", s'interroge-t-elle.

- "Les gilets jaunes, ils se sont bougés" -

Durant trois heures trente, des tranches de vie sont exposées. Celle de Jamila Haouache, dont le frère est mort de la pollution de l'eau aux légionelles, cité Air Bel, en 2017, assure-t-elle. Celle de Zohra, cette ancienne locataire de la Savine, contrainte de quitter sa barre d'immeuble, promise à la destruction et "envahie par les rats et les cafards" mais qui dépérit aujourd'hui dans son nouvel appartement "aux beaux carrelages et au murs blancs" cependant loin de son quartier.

Ou celle de Soraya Larguem. L'école de ses enfants, dans le 3e arrondissement, a été envahie par les punaises de lits: "Il a fallu trois semaines pour la désintoxication. En fait il y a deux écoles à Marseille, celles du nord et celles du sud. Dans le sud, on évacue tout de suite les bâtiments et on désinfecte même les appartements des parents", accuse-t-elle.

Les revendications classiques des "gilets jaunes" sont très loin. L'ISF n'est jamais mentionné, pas plus que l'injustice fiscale. Pas d'appel à la dissolution du parlement ou à la démission d'Emmanuel Macron. Mais le mouvement fait un tabac à l'applaudimètre quand il est mentionné.

"Je n'idéalise pas les +gilets jaunes+, explique Jean-Marc Coppola, élu communiste à la ville: mais au moins ils se sont bougés", reconnaît-il. "Vous ne portez peut-être pas de gilet jaune, peut-être vous n'avez pas manifesté, mais vous êtes les premiers +gilets jaunes+, +les gilets jaunes+ silencieux", lance Samia Ghali, qui promet qu'un manifeste contenant l'ensemble des propositions avancées durant la soirée sera transmis au maire de Marseille et au gouvernement.

La sénatrice socialiste est-elle déjà en campagne pour les municipales de 2020, pour succéder à M. Gaudin, qui ne se représentera pas, après 24 ans à la mairie ? "Il n'y a pas de pilote dans l'avion à Marseille", affirme-t-elle, sans prétendre forcément à prendre les commandes: "Tout dépendra aussi des copilotes", lâche-t-elle dans un grand sourire.

D'ici-là le "vote obligatoire pour tous" aura peut-être été instauré, comme le demande Christiane Reynier: "J'en ai assez de ces gens qui pleurnichent et qui ne vont pas voter", lance cette retraitée aux cheveux blancs.

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