En tant qu’investisseurs engagés, de quels leviers disposez-vous pour influencer les pratiques des entreprises ?
Notre engagement peut prendre différentes formes. La première est le dialogue construit et continu avec les entreprises dans lesquelles nous sommes investis. Ces échanges peuvent par exemple viser à les inciter à communiquer davantage d’informations extra-financières.
Le deuxième levier consiste à s’associer avec d’autres investisseurs au sein de coalitions d’actionnaires, dans le but d’encourager collectivement les entreprises à se fixer des objectifs ciblés sur des sujets ESG. Si ces objectifs ne sont pas atteints, nous pouvons procéder au gel voire à la vente de certaines positions. Les derniers outils à notre disposition sont le vote et le dépôt de résolutions externes aux assemblées générales.
Quelles sont les thématiques auxquelles vous êtes particulièrement sensibles ?
Les actionnaires demandent de plus en plus de transparence sur les feuilles de route des entreprises pour atteindre leurs objectifs climatiques, présentées notamment dans le cadre des "Say on climate". Pour clarifier ces engagements et comprendre s’ils sont crédibles, nous pouvons initier des échanges lors des assemblées générales. Par exemple, nous avons co-déposé une résolution à l’assemblée générale d’Engie qui s’est tenue fin avril.
Nous nous engageons également sur des thématiques sociales telles que les droits de l’homme ou le respect des conditions de travail. Aux côtés d’autres actionnaires et parties prenantes, nous avons depuis plusieurs mois engagé un dialogue avec l’entreprise française Teleperformance, qui a fait l’objet de plusieurs controverses au cours des dernières années. Fin 2022, l’une d’elles a porté sur la gestion des salariés en charge de
la modération de contenus extrêmes dans une filiale colombienne. Le groupe a rapidement mis en place un plan d’action sur la modération des contenus et a conclu un accord mondial avec le syndicat des industries de services UNI Global Union. Nous continuons à suivre de près le déploiement de cet accord régulièrement avec la société et la coalition d’actionnaires. Enfin, des sujets liés à la gouvernance peuvent également être abordés
de façon ponctuelle, en fonction des caractéristiques propres à chaque entreprise. Ils peuvent par exemple porter sur des questions liées à la rémunération des dirigeants ou la nomination d’administrateurs indépendants.
Comment ciblez-vous les entreprises qui vont faire l’objet d’un engagement ?
Nous disposons de bases de données permettant de faire remonter des alertes sur des sujets ESG problématiques tels que les controverses graves, dont le niveau de sévérité est noté sur une échelle de 1 à 5. Dans le cadre de notre politique énergie fossile, nous cherchons également à comprendre comment les entreprises prévoient de réduire leur exposition et engageons des dialogues sur ce sujet. Enfin, nous surveillons la réputation des entreprises afin d’identifier celles qui gèrent mal les risques liés à leur image et qui pourraient voir leurs cours de bourse affectés.
L’engagement influence-t-il réellement le comportement des entreprises ?
Le cas d’Engie est un exemple probant. Il y a deux ans, nous avons rejoint une coalition d’actionnaires pour déposer une résolution externe climatique, mais l’entreprise a refusé d’inscrire nos préconisations à l’ordre du jour. Cependant, depuis 2 ans, nous avons entretenu des échanges fructueux avec le management sur la transparence de leur alignement 1,5°C. Nous avons notamment demandé des informations complémentaires sur des sujets liés à la compensation carbone, le stockage d’énergie et les Capex verts. Engie a finalement publié
un addendum aux rapports développement durable et climat, répondant à nos attentes. Cette année, la résolution déposée à l’assemblée générale d’Engie a également reçu un taux d’approbation de 24 %. C’est un résultat remarquable lorsque l’on sait que l’État, l’un des plus gros actionnaires de l’entreprise, a voté contre et que le conseil d’administration a recommandé de faire de même. Notre coalition ne représentait que 1,9 % du capital, mais a réussi à obtenir un soutien important : cela montre que d’autres actionnaires comprennent l’importance de ces sujets. Même si la résolution n’a pas été adoptée, le signal apporté est fort et nous savons que l’entreprise reste à notre écoute.
Peut-on parler d’impact ?
Si l’on reprend l’exemple de Teleperformance, les engagements pris par l’entreprise sont concrets, mesurables dans le temps et validés par des auditeurs tiers. Pour qu’il y ait un impact réel, il faut respecter trois conditions : l’intentionnalité, l’additionnalité et la mesurabilité. Si en tant qu’investisseurs notre intention est d’améliorer les conditions de travail d’une entreprise et que nous y parvenons, alors nous pouvons dire que nous avons eu un impact. Dans le cas de Teleperformance, l’entreprise a apporté des éléments nouveaux par rapport à son scénario habituel. Il y a une double matérialité: en tant qu’investisseurs, nous avons un impact sur les pratiques de l’entreprise, qui a elle-même un impact sur la société.
Mandarine Gestion est une société de gestion de portefeuilles agréée par l’Autorité des Marchés Financiers le 28 février 2008 sous le numéro GP 08000008, dont le siège social est situé à 40 avenue George V – 75008 Paris. Spécialiste de l’investissement en actions, Mandarine déploie son offre en France et dans plusieurs pays européens auprès d’une clientèle diversifiée d’in- vestisseurs institutionnels, distributeurs, sociétés de multigestion et conseillers en gestion de patrimoine. Elle gère aujourd’hui 3 milliards d’euros et compte 44 collaborateurs.