A l'instar du modèle de la "Sécu" à la française avec sa carte Vitale, des chercheurs, militants écologistes et agriculteurs réfléchissent depuis quelques années à la possibilité de mise en place d'une "sécurité sociale de l'alimentation" pour tous.
Antoine Bernard de Raymond, sociologue, chercheur à l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), spécialiste de la sécurité alimentaire et de l'environnement, explique à l'AFP les principes et enjeux d'un concept visant à répondre aux limites de l'aide alimentaire.
Question: Comment est née l'idée d'une sécurité sociale de l'alimentation (SSA)?
Réponse: "C'est une réflexion qui est née en France et a émergé dans le débat public à partir de 2019. Initiée par des membres d'Ingénieurs sans Frontières-Agrista, elle est aujourd'hui portée par le collectif national SSA, regroupant notamment Le Réseau CIVAM, le Réseau Salariat, VRAC, ou encore la Confédération paysanne.
Leur réflexion concerne les limites du modèle agricole dominant et son impact sur l'environnement. Les alternatives restent de niche et sont limitées par la propension à payer des consommateurs, comme c'est le cas des AMAP ou de l'agriculture biologique.
Autre axe de réflexion: la précarité alimentaire qui concerne un grand nombre de citoyens et la stigmatisation que l'aide alimentaire peut engendrer, avec un mécanisme qui permet d'écouler les surplus du modèle dominant, l'encourage, et qui pose souvent des problèmes de qualité des aliments."
Q: Quels sont les grands principes de la SSA?
R: "La SSA est une proposition de transformation globale des filières agro-alimentaires, avec la création de nouveaux droits sociaux visant à assurer conjointement l'accès de tous à l'alimentation, la transition vers une agriculture respectueuse de l'environnement et le revenu des producteurs.
Elle reprend les trois grands principes du régime général de la Sécurité sociale, tel qu'il a été initié en 1946:
- L'universalité, loin d'une politique ciblée pour les pauvres, avec par exemple 150 euros par mois par personne, crédités sur une "carte Vitale" alimentaire.
- La gestion démocratique du système de conventionnement des professionnels et des produits: ce mécanisme permet d'assurer une orientation par les citoyens de la production agricole et alimentaire, en élaborant démocratiquement les types de produits et les critères de qualité auxquels ils aspirent avoir accès.
- La cotisation solidaire en fonction de ses capacités. Si elle était mise en place à l'échelle du pays, différents scénarios sont à l'étude, notamment des cotisations sur les salaires ou la valeur ajoutée des entreprises."
Q: Cette SSA est-elle envisageable à l'échelle nationale?
R: "Tous les systèmes redistributifs posent des questions d'acceptation sociale. Les critiques pourront dire que la France est déjà championne du monde des prélèvements sociaux, que ça va nuire à la compétitivité des entreprises, etc..
Mais pour comprendre l'intérêt d'un tel projet, il ne faut pas voir uniquement les coûts, mais aussi les bénéfices, notamment au niveau de la santé publique. Aujourd'hui on ne peut pas réfléchir seulement en termes économiques. Il faut aussi prendre en compte les coûts écologiques et la SSA est une proposition forte et cohérente pour réussir à concilier les deux.
A ce jour, la réflexion se poursuit et de nombreuses expérimentations locales essaiment partout en France, avec des publics différents mais toujours le même principe."
Propos recueillis par Marisol RIFAI