Des réacteurs compacts, flexibles et capables de digérer les déchets nucléaires existants: le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) vient de lancer deux start-up "maison" pour développer une nouvelle génération de petits réacteurs nucléaires, capables d'aider la grosse industrie à se décarboner tout en recyclant les déchets nucléaires.
Le CEA compte accélérer dans la course au développement des petits réacteurs modulaires alors que la France a pris du retard par rapport aux autres grandes puissances: 70 à 80 projets de réacteurs SMR (3e génération) et AMR (4e génération) existent déjà dans le monde, notamment aux États-Unis, au Canada et en Russie.
En France, le gouvernement a fait du développement de ces petits réacteurs innovants une priorité de sa relance du nucléaire avec la construction en parallèle de réacteurs puissants pour compléter le parc nucléaire existant avec 6 nouveaux EPR2.
Le CEA essaime des "jeunes pousses" depuis 50 ans, mais c'est la première fois que l'organisme de recherche se lance dans la course aux start-up nucléaires innovantes, en plein développement.
Tout est parti d'un concours d'idées il y a un an sur le vaste chantier de la transition énergétique. "Nous avons demandé à l'ensemble de nos collègues de la direction des énergies du CEA de nous proposer leurs idées et solutions de production d'énergies décarbonée. Au final, on a vu émerger 11 projets et un an plus tard, il subsiste cinq projets qui nous semblent intéressants, dont deux que l'on va transformer en start-up", Hexana et Stellaria, explique à l'AFP Stéphane Sarrade, directeur des programmes énergies au CEA.
- Brûler les déchets nucléaires -
Toutes deux s'appuient sur les technologies de 4e génération développées au CEA, les AMR (Advanced Modular Reactors) et visent un développement industriel entre 2035 et 2040, avec deux concepts différents.
La première, Hexana, veut développer 2 réacteurs modulaires de 4e génération, des réacteurs à neutrons rapides de 400 MW refroidis au sodium, une technologie qui a des décennies de recul en France, notamment avec le prototype Phénix et le supergénérateur Superphénix.
La particularité tient au fait qu'ils seront couplés à un stockage thermique, qui peut alimenter une turbine et faire de l'électricité, mais aussi couvrir d'autres besoins: alimenter des électrolyseurs pour fabriquer de l'hydrogène, produire de la chaleur haute température entre 300 et 500 degrés pour les industries énergivores très dépendantes des énergies fossiles (acier, agroalimentaire, ciment...), de la chaleur pour les réseaux urbains.
Autre avantage de taille mis en avant par les ingénieurs: le réacteur permet de valoriser les déchets nucléaires présents en France, contribuant à renforcer la "souveraineté énergétique du pays", ajoute M. Sarrade. Les réacteurs fonctionnent en effet sans uranium naturel ou enrichi mais avec de l'uranium appauvri associé à du plutonium issu des combustibles retraités du parc nucléaire français (MOX).
"La technologie des neutrons rapides, très énergétique, est capable de brûler la plupart des déchets nucléaires" tout en produisant elle-même "peu de déchets", explique à l'AFP Claire Kerboul, consultante en physique nucléaire et ancienne chercheuse au CEA, qui publie prochainement "L'urgence du nucléaire durable".
"Avec toutes les réserves d'uranium naturel appauvri disponible en France, on dispose de 7.000 ans de production d'électricité, sans devoir recourir à des importations d'uranium", ajoute-t-elle.
L'autre projet, porté par Stellaria, s'inscrit également dans la technologie 4e génération, produisant électricité et chaleur à proximité de sites industriels, mais cette fois avec un réacteur à sels fondus, un concept moins éprouvé.
"Il s'agit d'un autre concept de réacteurs où le combustible du réacteur n'est pas solide mais liquide", explique Stéphane Sarrade. Là encore, ils permettent d'envisager "une large gamme de combustibles", y compris les déchets nucléaires français.
Les deux jeunes pousses ont jusqu'à juin pour candidater au guichet de l'appel à projet de France 2030, un programme doté de 500 millions d'euros pour développer des "technologies de rupture" dans le nucléaire.
Hexana aura un soutien de poids avec EDF et Framatome comme partenaires, mais le CEA compte bien rallier des partenariats au-delà de la filière nucléaire.
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