Le détournement d'usage de terres agricoles, un fléau qui inquiète en Provence

Un terrain vague, bordé par une oliveraie: l'endroit ressemble en tous points à une parcelle cultivable, mais en s'approchant apparaissent gravats et bouts de ferrailles, témoins du détournement de cette terre autrefois agricole, un phénomène prégnant en Provence que les agriculteurs tentent d'endiguer.

Ici "vous avez une terre encore cultivée il y a moins de dix ans, où le propriétaire est venu déverser tout un tas de détritus, a commencé à concevoir des réseaux électriques, à clôturer", déplore Sébastien Perrin, secrétaire général de la Chambre d'agriculture du Var et viticulteur dans la fertile vallée de l'Argens.

Et ça "ne sera plus jamais de la terre agricole", se désole-t-il, en balayant du regard cette parcelle au bord d'une petite route de la commune de Roquebrune-sur-Argens, sur laquelle s'entassent gravats et souches d'arbres: il faudrait décaper, détruire et "stocker en décharge appropriée" les "milliers de mètres cubes de gravats, de pierres, de terre, de morceaux de ferraille" déversés sur place.

Le cas de ce terrain est emblématique de ces terres agricoles achetées pour accueillir des carrosseries, des garages à bateau, à caravane, des cabanons de loisirs ou encore pour y déverser des déchets du BTP, autant d'activités particulièrement rentables.

"Ces gens achètent le foncier à des prix dix fois plus élevés que ce que pratique un agriculteur", ce qui fait monter le prix moyen des terrains agricoles et donc "les agriculteurs n'arrivent plus à acheter parce que le foncier est devenu trop cher et qu'on met des générations et des générations à l'amortir", décrit Sébastien Perrin.

Ce phénomène, qui existe partout en France, est particulièrement important dans les zones littorales et à proximité des grands centres urbains.

- Peines trop peu dissuasives -

Dans les départements littoraux, "l'urbanisation très forte et la dynamique de construction génèrent beaucoup de déchets, et pour les entreposer on va chasser sur des terres agricoles, qui sont souvent accessibles, parce qu'il y a déjà le chemin, et qui sont parfois un peu cachées, au milieu d'un bois, donc c'est facile", résume Jérémy Lieutier, président des JA (Jeunes agriculteurs) Paca.

C'est l'ampleur du phénomène, "quand on a commencé à le mesurer, qui nous a alertés", témoigne Laurent Vinciguerra, directeur général délégué en Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) pour la Safer, l'organe de régulation du foncier.

Selon la Safer Paca, "1.500 à 2.000 hectares par an" en moyenne sont détournés chaque année dans la région: "Notre territoire agricole a tendance à être extrêmement mité, avec des activités non agricoles, notamment résidentielles, qui harcèlent l'espace agricole", décrypte M. Vinciguerra.

"Les gens ont l'impression que de l'espace on n'en manque pas", mais "le foncier en général et le foncier agricole en particulier, c'est un des rares biens qu'on ne sait pas produire aujourd'hui", insiste pour sa part Romain Blanchard, président de la FNSEA des Bouches-du-Rhône.

Le maire de Roquebrune-sur-Argens, Jean Cayron, a oeuvré à la création d'une charte des bonnes conduites pour lutter contre le phénomène dans le Var. Mais "la Safer, comme la commune, ne sont pas des agents immobiliers pour les terres agricoles", souligne l'élu.

Les maires sont "souvent en face d'un imbroglio juridique et réglementaire", atteste Laurent Vinciguerra.

En plus de cette charte, la Chambre d'agriculture "travaille énormément avec le substitut du procureur, pour monter des exemples sur lesquels agir. Malheureusement, c'est le temps qui manque au procureur, je pense, pour instruire ces dossiers-là, qui sont le réel enjeu", explique Sébastien Perrin.

Selon lui, "ce sont surtout les peines qui ne sont pas assez dissuasives", mais "quand on aura quelques exemples assez concrets et contraignants, quelques personnes vont réfléchir avant de détourner de la terre agricole", espère le viticulteur.

A l'échelle nationale, un texte visant à lutter contre la disparition des terres agricoles a été adopté en première lecture par les députés début mars. Cette proposition de loi transpartisane, défendue par le député socialiste Peio Dufau (Pyrénées-Atlantique), prévoit des dispositions pour renforcer les droits de préemption des Safer.