Le reflux des pesticides est "inéluctable", estime un chercheur français

Face au changement climatique et aux résistances du vivant aux traitements, le reflux de l'utilisation des pesticides en agriculture est "inéluctable", estime Christian Huyghe, chargé de mission auprès de la direction scientifique agriculture de l'institut agronomique et environnemental Inrae.

Question: La France pourrait bientôt réautoriser un insecticide néonicotinoïde toxique pour les pollinisateurs, signe d'un retour en arrière?

Réponse: "La sortie des produits phytosanitaires est inéluctable. Elle est inéluctable parce qu'il n'y a presque plus aucune molécule nouvelle autorisée. Sur les années 2022 et 2023, à l'échelle européenne, il n'y a eu aucune substance active homologuée.

Il y a deux raisons à cela: la première est liée au fait que les entreprises ne prennent pas le risque de déposer un dossier face à des règles plus contraignantes. Et puis, il y a le fait que l'on ne découvre plus de nouveaux modes d'action, qui ciblent précisément les organismes à tuer.

Les molécules à spectre extrêmement large, comme on en a eu beaucoup, étaient très efficaces, mais elles tuaient trop. C'est pour cela que les néonicotinoïdes posent un problème: parce que ces substances ciblent un récepteur qui est partagé par tous les insectes.

Les dégâts sur l'environnement et la biodiversité sont très élevés, il y a trop d'effets non intentionnels.

Q: La France a adopté le plan Ecophyto en 2008, avec l'objectif, jamais atteint, de réduire de moitié l'usage des pesticides en dix ans. Cet objectif est actuellement repoussé à 2030 (par rapport à la période de référence 2011-2013). Pourquoi est-ce si compliqué ?

R: "Tout d'abord il faut reconnaître le chemin parcouru: si on regarde sur une trajectoire longue, beaucoup de choses ont bougé. Entre 2012 et 2022, les usages de produits de biocontrôle (solutions basées sur la nature) ont triplé, alors que ceux des produits de synthèse diminuaient (de 15 à 20%).

Et depuis 2018, il y a une baisse vraiment majeure (-57%) des produits CMR (cancérigènes mutagènes et reprotoxiques), avec une disparition presque totale des plus dangereux, les CMR1.

Cela a pu se faire grâce à la recherche et l'innovation, avec le développement du biocontrôle, et grâce à l'action de la puissance publique avec le retrait de molécules et l'accompagnement des agriculteurs pour qu'ils utilisent moins et mieux."

Q: Mais il y a de fortes résistances chez nombre d'agriculteurs qui ne veulent pas risquer leur récolte en se passant de la chimie...

R: "Il y a une chose qu'on a complètement manquée et qu'on cherche à corriger, c'est qu'on a mis tout le poids de la transition sur les agriculteurs et rien sur l'aval des filières.

On a dit aux agriculteurs de faire autrement, mais l'industrie de la première transformation a exigé exactement la même chose qu'avant, les mêmes volumes, les mêmes qualités, au même endroit.

Là où cela fonctionne, c'est quand la production et la transformation vont en même temps dans la même direction.

C'est ce qui se passe dans le Nord avec la pomme de terre chez (l'industriel canadien) McCain, qui impose des outils d'aide à la décision - comme une station météo connectée pour traiter au meilleur moment - et aussi des démarches de prophylaxie, comme par exemple la destruction des tas de tubercules résiduels de l'année précédente, qui peuvent servir de réservoir au mildiou.

En faisant cela, ils arrivent à des réductions de phytos de -30% à -50% selon les années, ce qui est très significatif".

Q : Où en est la recherche de solutions remplaçant la chimie de synthèse ?

R : "La baisse tendancielle d'utilisation n'a pas permis d'anticiper les retraits de molécules. Mais depuis quelques années, des plans se sont mis en place (...): le plus important actuellement est le Plan national d'anticipation du retrait des substances actives et développement des alternatives (Parsada).

En France et en Europe, beaucoup de molécules très utilisées, avec un profil de toxicité qui n'est pas très bon, arrivent en réévaluation dans les cinq ans. Le plan Parsada a identifié 75 molécules à risque de retrait dans cinq ans, qui représentent 79% des volumes qu'on utilise aujourd'hui."