Les filtres à microplastiques pour lave-linge, une avancée mais pas une panacée

Equiper son lave-linge d'un filtre pour réduire les rejets des milliers de microplastiques qui gorgent les vêtements en fibres synthétiques dans les canalisations, et in fine dans les océans, peut atténuer en partie cette pollution, sans la résorber si les habits restent les mêmes.

La France a voulu l'imposer: la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) de 2020 prévoyait l'entrée en vigueur au 1er janvier 2025 de l'obligation d'équiper tout lave-linge neuf d'un filtre à microfibres plastiques, sachant qu'il s'en vend environ 2,5 millions chaque année dans le pays. Mais le décret d'application n'a pas encore paru.

Contacté par l'AFP, le ministère français de la Transition écologique n'a pas souhaité apporter de nouveaux éléments sur ce décret qui inquiète les industriels.

"Ces technologies sont contraignantes pour le consommateur, pour un bénéfice environnemental qui n'a pas encore été quantifié", assure Paolo Falcioni, directeur général d'APPLiA, une association représentant les fabricants européens d'appareils ménagers.

Certains fabricants n'ont pas attendu la loi pour innover. Les marques Beko et Grundig proposent un lave-linge avec filtre intégré, tandis qu'Electrolux et Samsung ont opté pour un filtre externe.

Mais un rapport publié en 2023 par l'Inspection générale de l'environnement et du développement (IGEDD) met en exergue certaines difficultés pratiques, "qui nécessitent une forte implication de l'utilisateur de la machine", comme le nettoyage des filtres.

- 60% des produits textiles -

Pour les experts de la pollution plastique, la question de la filtration n'est surtout qu'un versant de la solution. C'est une technologie qui tente de régler le problème en aval alors qu'il "se trouve surtout en amont, au niveau de l'industrie textile", soutient Julien Boucher du cabinet de conseil environnemental Earth Action.

On retrouve les fibres synthétiques produites à base de dérivés du pétrole, telles que le polyester, le nylon ou l'élasthanne, dans près de 60% des produits textiles neufs, selon l'ONU.

Ils regorgent de minuscules fragments de plastique mesurant jusqu'à 5 mm de long, qui se diffusent très facilement dans l'eau.

Une seule lessive de vêtements en acrylique peut rejeter plus de 700.000 fibres de microplastiques, plus de 500.000 pour du polyester, selon une étude de l'université de Plymouth parue en 2016.

Une partie de ces déchets passent à travers les mailles des stations d'épuration et finissent dans les rivières et les océans.

La première évaluation mondiale publiée en 2017 par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) attribue 35% des rejets de microplastiques en mer au lavage de textiles synthétiques.

"Cette estimation a été revue à la baisse, entre 10 et 15%, parce que d'autres sources sont apparues, en particulier la peinture et les pneus qui s'usent", nuance Julien Boucher, co-auteur du rapport.

"Cependant, contrairement aux pneus, pour lesquels les pertes de microplastiques varient peu d'un modèle à l'autre, le type de vêtement, la matière, ou encore le tissage, font une nette différence sur la quantité de microplastiques rejetés dans l'environnement", souligne-t-il. "L'enjeu principal c'est l'ultra fast-fashion, pas l'installation de filtres à lave-linge."

- Fast-fashion -

"Les microfibres sont libérées tout au long du cycle de vie des textiles", rappelle Francesca De Falco, chercheuse spécialiste des matériaux à l'université de Bayreuth. "Si nous agissons au niveau de la conception et de la production textile, nous pourrons réduire les rejets à la fois lors du port et du lavage."

"La chaîne logistique mise en place dans ce secteur pour garantir les prix les plus bas rend complexe l'adoption de toute décision en matière d'écoconception", note cependant l'IGEDD.

L'organisme préconise de lutter "contre la surconsommation textile en communiquant sur l'impact environnemental des produits textiles synthétiques" et "le réemploi et la réparabilité des produits textiles".

Des recommandations jugées "insuffisantes" par Muriel Papin, porte-parole de l'ONG No plastic in my sea. "L'Etat fait peser la responsabilité sur les consommateurs", regrette celle qui défend "une loi pour interdire les produits textiles les plus polluants".

Une proposition de loi réglementant l'industrie textile doit être examinée à partir du 2 juin au Sénat.