Une lettre et un questionnaire: c'est ce qu'ont reçus plusieurs entreprises françaises de la part de l'ambassade des Etats-Unis à Paris, les invitant à renoncer à leurs éventuelles politiques de lutte contre les discriminations, ce que la France dénonce comme des "ingérences inacceptables".
Voici ce que l'on sait sur cette missive qui agite depuis plusieurs jours le monde économique français.
Que dit le document ?
Le courrier, consulté par l'AFP, informe les destinataires du fait que "le décret 14173", pris par Donald Trump dès le premier jour de son retour à la Maison Blanche pour mettre fin aux programmes promouvant l'égalité des chances au sein de l'Etat fédéral, "s'applique également obligatoirement à tous les fournisseurs et prestataires du gouvernement américain".
Autrement dit, les entreprises liées par un contrat commercial à l'Etat américain seraient dans l'obligation de rompre avec les politiques de discrimination positive éventuellement mises en place.
Joint à cette lettre, un questionnaire demande aux entreprises de reconnaître avoir pris connaissance de cette règle et de certifier qu'elles ne mettent en place aucun programme promouvant "la diversité, l'équité, et l'inclusion".
La lettre de l'ambassade américaine précise que les entreprises ont "cinq jours" pour remplir, signer et retourner le document.
Quelles entreprises ?
Le nombre d'entreprises destinataires de la lettre reste encore flou. Samedi, Bercy expliquait à l'AFP être encore en train de les recenser aux côtés de l'Afep (qui réunit les plus grandes entreprises françaises) et du Medef, évoquant un ordre de grandeur de "quelques dizaines" d'entreprises.
Selon Les Echos, qui a révélé l'existence du document, les secteurs concernés sont notamment l'énergie, la pharmacie, les télécoms et le luxe.
Mais la plupart des grandes entreprises contactées par l'AFP n'ont soit pas souhaité s'exprimer, soit déclaré ne pas avoir reçu ce courrier.
Quelle valeur juridique ?
Lundi matin, le ministre français de l'Economie Eric Lombard, a mis en garde contre "la valeur juridique incertaine" de ce courrier, ajoutant que ses services étaient "en train de regarder".
L'administration américaine peut-elle exiger des entreprises françaises qu'elles se conforment à sa loi ?
"La réponse est non", affirme Christopher Mesnooh, avocat d'affaires américain au sein du cabinet Fieldfisher, joint par l'AFP.
"Il n'y a pas d'extraterritorialité juridique qui pourrait émaner de cette lettre au sens que les entreprises françaises ne vont pas être obligées maintenant d'appliquer le droit social ou la loi fédérale (américaine, NDLR) contre les discriminations positives", poursuit l'avocat.
En revanche, cela peut être un moyen de pression économique, en menaçant les entreprises de ne pas renouveler les contrats qui les lient au gouvernement américain.
Pour les entreprises françaises, le problème ne se pose pas dans les termes posés par la lettre car en France, la discrimination positive fondée explicitement sur l'origine, la religion ou l'ethnie "n'est pas autorisée", rappelle par ailleurs Christopher Mesnooh.
Pour autant, sur le volet de l'égalité hommes/femmes, depuis 2021, pour les entreprises de plus de 1.000 salariés, la loi française donne pour objectif d'atteindre la proportion de 30% de femmes cadres-dirigeantes et de 30% de femmes membres des instances dirigeantes en 2027, objectif porté à 40% en 2030, avec possibilité de "pénalité financière" en cas de non respect.
Des dispositions légales existent aussi en faveur de l'emploi des personnes handicapées.
Les entreprises qui choisiraient de se conformer aux exigences stipulées dans la lettre se mettraient donc dans l'illégalité du point de vue du droit français.
Quelles réactions en France ?
Lundi matin, le ministre français du Commerce extérieur Laurent Saint-Martin s'est dit "profondément choqué" par ce courrier, dénonçant "un pas de plus dans l'extraterritorialité américaine, mais cette fois-ci sur le champ des valeurs", et appelant à "ne pas transiger" avec la loi et les "valeurs françaises".
Le ministre a ajouté que le gouvernement aurait "une discussion avec l'ambassade des Etats-Unis", pour "comprendre quelle est vraiment l'intention derrière" cette initiative.
"Nous soutiendrons les entreprises dans ces débats", a affirmé de son côté Eric Lombard.
La lettre de l'ambassade américaine a également suscité l'indignation du président du Medef, Patrick Martin, qui a fustigé dimanche une initiative "inadmissible" et déclaré qu'il était "hors de question" de renoncer aux règles d'inclusion dans les sociétés françaises.
bur-hrc/abb/ktr