Cette publication a, de nouveau, décalé les anticipations du marché s’agissant du calendrier des baisses de taux de la Fed. Dans ce contexte, nous avons décidé de nous intéresser aux « victimes collatérales » de ces publications et anticipations, à savoir les autres grandes, ou moins grandes, banques centrales des pays développés ; en particulier la Banque centrale européenne (BCE), dont la réunion s’est tenue la semaine dernière. N’étant pas tout à fait dans la même situation que les Etats-Unis, vont-elles pouvoir s’affranchir du comportement de la Fed ?
La réunion de la BCE du 11 avril a été sans surprise. Pas d’actualisation des prévisions, mais les mots choisis et la session de questions-réponses ont tout de même été informatifs. Il en ressort que les taux devraient baisser en juin, mais cela n’étonnera personne, puisque les officiels de la BCE n’ont cessé de l’indiquer dans les médias ces dernières semaines. La suite des événements est en revanche plus incertaine. Depuis plusieurs mois, notre scénario central repose sur deux éléments principaux : une désinflation plus prononcée en 2024 que ne l’anticipent la BCE et le consensus, couplée à une croissance économique modeste au 1er semestre.
Ces éléments nous ont amenés à prévoir des baisses de taux à chacune des réunions de la BCE à partir du mois de juin. Ce scénario, peu consensuel, se heurte à l’évolution de l’euro face au dollar, et par extension au comportement de la Fed. Si cette dernière ne cesse de repousser son calendrier des baisses de taux, en raison notamment de « mauvais » chiffres d’inflation, elle fait peser le risque que le différentiel de taux s’accroisse avec la BCE, si celle-ci agit plus tôt. L’attractivité du vieux continent pourrait en pâtir et la « fuite des capitaux » engendrerait une dépréciation de l’euro, poussant la BCE à ne pas s’affranchir davantage du comportement de la Fed.
Prenons maintenant le problème dans un autre sens.
Si la BCE continue de mener une politique monétaire restrictive alors que l’inflation baisse sensiblement, que les conditions de crédit demeurent tendues (cf. l’enquête publiée la semaine passée), et que la croissance économique et la productivité du travail sont anémiques, le risque d’entailler l’attractivité de la zone Euro pour une période prolongée est encore plus grand, selon nous. A contrario, un desserrement monétaire permettrait de redonner du souffle à une économie asphyxiée, renforçant ainsi l’attrait de la zone Euro pour les capitaux étrangers.
Difficile de dire si l’une ou l’autre de ces visions se compensent, mais il convient de réfléchir à la problématique dans son ensemble. En outre, les parallèles historiques sont peu nombreux, mais ils nous ont montré que la BCE a su par le passé se distinguer du comportement de la Fed, comme l’indique le graphique ci-contre. Christine Lagarde a pour le moment choisi son camp, en répétant à plusieurs reprises jeudi dernier : « Nous ne sommes pas dépendants de la Fed ».
La BCE n’est pas la seule dans ce cas de figure. L’inflation en zone Euro se distingue de celle des Etats-Unis, car elle provient essentiellement d’un choc d’offre au sens large (tensions logistiques, matières premières…). D’autres banques centrales se retrouvent dans une situation similaire, tant leurs spécificités les éloignent de la situation américaine. La Banque Nationale Suisse a, par exemple, déjà baissé ses taux en mars dernier, et a révisé à la baisse ses prévisions d’inflation. Celle du Canada a adopté un ton plus accommodant, voyant son inflation baisser et son taux de chômage augmenter. La Banque d’Angleterre commence, elle aussi, à adoucir son discours. Les banques centrales de Suède, de Nouvelle-Zélande… se joignent également à ce mouvement. Si celles-ci venaient à s’allier de manière implicite, il se pourrait que les colombes prennent leur envol, permettant à chacune d’entre elles d’entrer dans un cycle monétaire asynchrone vis-à-vis de la Fed, à moins que la montée récente du risque géopolitique vienne chambouler les perspectives…
Contenu rédigé par Florent Wabont, Économiste