La globalisation a façonné nos sociétés au cours des dernières décennies. Les chaînes de production se sont délocalisées, les échanges de biens et services, et les flux de capitaux humains se sont mondialisés. Si l’idée d’une inversion de ce phénomène n’est pas nouvelle, la pandémie a toutefois rebattu les cartes. Les pénuries sanitaires, alimentaires, ou de composants électroniques ont ainsi poussé certains pays à vouloir relocaliser des productions jugées essentielles. Depuis la guerre en Ukraine, la souveraineté énergétique est également devenue un sujet majeur. Les chaînes de valeur étant toujours extrêmement interconnectées, une inflexion brutale de la globalisation paraît difficilement envisageable. L’essor d’une économie de services plus immatérielle basée notamment sur les flux de données informatiques constitue également un relais puissant. Force est de constater qu'un boom de l’investissement manufacturier est toutefois à l’œuvre aux États-Unis. Au total, les bouleversements connus coup sur coup semblent finalement accentuer la tendance préexistante de régionalisation de nos économies.
Le concept de dédollarisation questionne quant à lui le rôle du dollar comme devise de référence. Dans les faits, la tendance est indéniable. Selon le Fonds Monétaire International (FMI), la part des réserves banques centrales détenues en dollar dans le monde s’élève à 59 % au 1er trimestre 2023, alors qu’elle était encore de près de 70% quelques années auparavant. Ce mouvement a profité à l’euro, au yen, mais aussi au rouble et au renminbi. Une trajectoire similaire s’observe sur les flux financiers et le commerce mondial. D’autre part, les BRICS (Brésil, Russie, Chine, Inde et Afrique du Sud) et d’autres pays dits émergents multiplient les initiatives visant à s’affranchir du billet vert. Le risque géopolitique est bien entendu un vecteur puissant de dédollarisation et de découplage de nos économies. La montée en puissance des monnaies décentralisées constitue également une menace. Plusieurs facteurs limitent néanmoins ce phénomène. Dans cet affrontement, la monnaie chinoise semble être un concurrent sérieux, mais il est utile de rappeler que cette dernière est peu convertible. L’hégémonie du dollar tient aussi du fait que les États-Unis sont la 1ère puissance mondiale, que leur marché obligataire est très liquide, et que le règlement des matières premières s’effectue majoritairement dans leur devise. Mais le facteur le plus important est probablement celui des dissensions au sein du bloc des BRICS. En particulier, celles entre l’Inde et la Chine. À la fois en tant que leader économique de cette partie du monde, mais aussi vis-à-vis des relations nouées avec les pays développés et les autres pays d’Asie. Le dollar perd du terrain certes, mais de manière modeste pour le moment.
Enfin, le dérisquage s’inscrit dans le prolongement direct des deux autres « D ». En finance, « dérisquer » un portefeuille consiste à réduire sa proportion d’actifs risqués à la faveur d’une ou plusieurs alternatives jugées plus sûres. En relations internationales, il s’agit de limiter de manière « tactique » ses dépendances avec un pays. Pour les États, cela se traduit par le choix entre tel et tel partenaire en fonction des risques géopolitiques ou d’image. Pour les entreprises, rapatrier une partie de sa production et saupoudrer ensuite le solde sur une multitude d’acteurs. Et c’est bien là tout l’enjeu de la période actuelle : sécuriser des partenaires privilégiés, dans un monde de plus en plus fragmenté.
On le comprend, les 3 « D » apportent leur lot d’incertitudes. Ils font partie des faisceaux d’indices laissant entrevoir une augmentation de la volatilité des agrégats macroéconomiques à l’avenir. Ils interrogent également les investisseurs sur le caractère investissable de certaines régions du monde, l’exemple récent de la Chine étant le plus frappant. Le niveau de corrélation entre les différents marchés d’actifs pourrait également en être affecté. La réunion des BRICS cet été et le G20 en Inde ce mois-ci n'en sont donc probablement que les prémices…
Contenu rédigé par Florent Wabont, économiste chez Ecofi.