Ce qui est nouveau en revanche, c’est l’adoption et la transposition de ces concepts à un large public ainsi qu’à de nombreux domaines, via l’émergence de ChatGPT notamment. Des outils puissants et sophistiqués sont désormais disponibles via de simples clics ou commandes spécifiques, et permettent de réaliser de nombreuses tâches, souvent de manière plus efficiente qu’auparavant. L’adoption massive de l’IA va-t-elle se traduire par d’importants gains de productivité ? Quelles incidences pour nos sociétés ? Comment les investisseurs s’approprient la thématique ?
En théorie économique, la productivité du travail peut se mesurer en rapportant la production créée par le nombre d’heures travaillées. Ces dernières décennies, la productivité a beaucoup fluctué. Une période de forte augmentation à partir de la seconde guerre mondiale jusqu’aux années 70, de ralentissement ensuite, de rebond au début des années 90, puis de lente progression. À titre d’exemple, le Financial Times s’interrogeait récemment sur la faiblesse de la productivité au Royaume-Uni. Le phénomène cité répond certes à des facteurs spécifiques, mais il concerne avec une intensité variable la plupart des autres pays développés.
Dès lors, sur le papier, l’arrivée de l’IA a tout d’une solution miracle. Pour être encore plus précis, il faut désormais parler d’IA générative, dont l’exemple le plus probant est ChatGPT. Il s’agit ici d’indiquer ce que l’on aimerait accomplir à des algorithmes basés sur d’énormes quantités de données qui génèrent le rendu souhaité.
Aidés par ces outils, les développeurs informatiques codent plus rapidement, les médecins détectent des tumeurs passées inaperçues, des argumentaires publicitaires complets se construisent avec quelques mots clés, les mails s’écrivent plus rapidement… De nombreuses tâches peuvent ainsi être déléguées à la machine, laissant à l’humain plus de temps pour d’autres travaux. Dans ce débat, deux visions s’opposent. Celle qui prône l’« humain augmenté », capable d’être assisté artificiellement pour devenir meilleur dans tout ce qu’il entreprend. Le vieillissement de la population n’est plus un obstacle, puisque l’on peut accomplir les mêmes missions avec moins de main-d'œuvre. De nouveaux métiers seraient par ailleurs créés, remplaçant ceux devenus obsolètes. La richesse engendrée par cette nouvelle révolution technologique profiterait par ailleurs à toute la population, et les nations verraient leur niveau de vie augmenter par le biais des hausses salariales et des gains de productivité associés.
De l’autre côté, des questionnements légitimes. Quid des travailleurs peu qualifiés, qui n’auront pas embrassé ces nouvelles utilisations ? Comment les former à ces nouveaux métiers ? À terme cela pourrait tout aussi bien concerner les « cols blancs », dont certains emplois sont menacés. Les inégalités sociales vont-elles se creuser ? Mentionnons également la dimension géopolitique, notamment vis-à-vis de l’approvisionnement en semi-conducteurs.
Enfin, les enjeux climatiques. Ces outils étant basés sur des serveurs de calculs et d’immenses bases de données, leur utilisation est intensive en énergie. Sans prendre position pour un camp ou un autre, on comprend ici que les enjeux sont considérables. En bourse, la thématique de l’intelligence artificielle a engendré une véritable frénésie chez les investisseurs, entraînant avec elle de nombreuses valeurs du secteur de la technologie et relançant le débat de la prépondérance de ces titres dans les indices. Cette année, l’essentiel de la performance du marché actions américain s’explique par les poids lourds de ce secteur. L’indice NASDAQ 100 a ainsi connu son meilleur semestre depuis 1999. À moyen-long terme, il est envisageable que l’IA induise des gains de productivité, un accroissement des dépenses d’investissement, et une progression des profits des entreprises. La croissance potentielle s’apprécierait, ce qui exercerait par extension des pressions inflationnistes, au moins dans un premier temps. L’histoire économique nous rappelle toutefois que les participants de marché ont souvent tendance à devenir monomaniaques sur une thématique, phénomène amplifié par la peur de « louper le train ». L’histoire nous rappelle aussi que ces épisodes ne finissent pas toujours très bien, et que la diversification demeure un concept immuable...
Contenu rédigé par Florent Wabont, économiste chez Ecofi.