Les taux d’intérêt de long terme sont gouvernés par deux éléments :
(i) les anticipations de taux courts
(ii) une «prime de terme », reflétant le supplément de rendement exigé en contrepartie du risque d’investir sur un horizon lointain.
Pour complexifier l’équation, ces facteurs encapsulent également leurs propres déterminants. Les anticipations de taux courts sont influencées par les taux directeurs constatés, mais surtout par les attentes des investisseurs quant à l’évolution de ces derniers, intimement liées à la dynamique du couple croissance/ inflation ou encore à celle du « taux neutre ». La prime de terme répond quant à elle à l’incertitude sur l’inflation future, ainsi qu’à des facteurs d’offre et de demande de titres sur le marché, qu’il s’agisse d’achats réalisés par les banques centrales, des émissions de dettes par les Etats ou de l’aversion pour le risque des investisseurs.
Lors de la décennie précédente, les taux à long terme ont tendanciellement diminué. Pour faire face à la crise de 2008, les politiques monétaires ont été durablement assouplies, par le biais notamment de programmes d’achats de titres (quantitative easing). La prime de terme s’est comprimée, en raison de la réduction du stock de dettes d’Etats, alors détenu et conservé en partie par les autorités monétaires.
Les taux d’intérêt ont ensuite pris le sens inverse à partir de l’été 2020, accompagnant la hausse de l’inflation, la vigueur de la croissance mondiale et le resserrement monétaire. Le taux à 10 ans américain a fluctué de 1,51 % fin 2021 à 3,88 % fin 2022, et de -0,18 % à 2,57 % pour son équivalent allemand. Le prix d’une obligation étant inversement lié à l’évolution des taux, les performances enregistrées par les obligations souveraines ont oscillé entre -6 % et -30 % en 2022, selon la maturité et la zone géographique considérée.
L’augmentation des taux d’intérêt s’est poursuivie en 2023, le 10 ans américain ayant atteint un plus haut à 4,89 % en intra-journalier au cours du mois d’octobre. Si ce mouvement était jusque là principalement lié aux anticipations de taux directeurs « plus hauts pour plus longtemps », le phénomène s’est néanmoins accentué cet été, en particulier aux Etats-Unis, pour d’autres raisons. Outre la vigueur de l’économie américaine, une des explications se trouve du côté de la prime de terme. Selon les estimations de la Fed de New York, cette dernière est redevenue positive ces dernières semaines, alors qu’elle gravitait en territoire négatif depuis plus de deux ans. Dans un contexte de craintes autour du budget de l’Etat américain (dégradation de sa note par Fitch en août et menaces de shutdown), les émissions de dettes gouvernementales sont attendues en plus grand nombre, dans l’optique de financer le déficit qui se creuse.
Dans le même temps, les investisseurs deviennent plus sensibles aux prix payés pour acquérir ces obligations, les prêteurs internationaux sont moins nombreux, et la Fed opère une réduction de son bilan.
En dépit d’une situation économique moins favorable, les taux européens se sont également appréciés. La question des déficits se pose aussi (cf. Italie) et la BCE envisage d’accélérer le dégonflement de son bilan.
Tout récemment, les taux longs se sont quelque peu détendus, en raison de la hausse de l’aversion pour le risque subséquente à l’attaque terroriste en Israël, et du compromis budgétaire temporaire aux Etats-Unis. Les chiffres d’inflation publiés la semaine passée sont toutefois venus rappeler aux investisseurs qu’ils allaient devoir composer avec une plus grande volatilité des statistiques économiques.
Plus les taux longs restent à ces niveaux, plus la charge future de la dette augmente et plus la situation fiscale des Etats devient problématique. En outre, et comme l’ont indiqué les membres de la Fed, ce phénomène accélère la transmission de la politique monétaire, en restreignant les conditions financières et en accroissant de facto le risque macroéconomique et financier...
Contenu rédigé par Florent Wabont, économiste chez Ecofi.