L'enquête des autorités sanitaires est terminée, les conférences de presse se sont taries. Les années ont passé à Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique, mais les habitants continuent de se mobiliser et de s'interroger sur l'origine des cas de cancers d'enfants recensés dans les environs.
Marie Thibaud a "débarqué dans le monde du cancer" en décembre 2015, quand son fils Alban, qui venait de fêter ses 4 ans, a déclaré une leucémie aiguë.
"Au CHU, j'ai rencontré des familles que je connaissais. En deux mois, trois sont arrivées. J'ai alerté les autorités sanitaires", se souvient Marie Thibaud, thérapeute familiale. A ses oreilles pendent des rubans dorés, symboles de la lutte contre les cancers pédiatriques.
Au sud-ouest de Nantes, la commune de Sainte-Pazanne - environ 7.000 habitants - est au coeur d'une zone de 15 kilomètres dans laquelle le collectif de Marie Thibaud recense 25 enfants ayant déclaré un cancer entre 2015 et 2021. Sept d'entre eux sont décédés.
En 2020, les investigations menées par l'ARS et Santé publique France - qui retenaient 16 cas depuis 2015 - n'avaient pas permis de conclure à un "cluster" ni de "révéler de risque avéré, en l'état actuel des connaissances".
Mais sur place, le collectif "Stop aux cancers de nos enfants", qui réunit parents concernés et habitants inquiets, continue de s'interroger et voit des "manquements" dans les investigations menées.
- "Chercher, comprendre" -
"On est dans une zone agricole, viticole et maraîchère. Quand bien même chacun utilise les produits dans les normes, que sait-on par exemple du mélange ? On veut chercher, comprendre", explique Marie Thibaud.
Pour mieux appréhender les liens entre environnement et santé, le collectif a inauguré en juin dernier l'Icrepse (Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale), financé aux deux-tiers par le département. Il s'inspire notamment de l'Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions, implanté depuis 15 ans dans la zone industrielle de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône).
Les toxicologues, sociologues et médecins du conseil scientifique s'appuieront sur les données réunies par le collectif, comme des études des sols, de l'eau, de l'air ou des prélèvements sur les cheveux des enfants.
Les autorités sanitaires "recherchent une seule cause commune, ignorant l'effet cocktail, le fait qu'il peut y avoir plusieurs effets additifs", affirme la toxicologue Laurence Huc, présidente de l'institut et directrice de recherche à l'Inrae (l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement).
A plus de 400 km de là, à Igoville (Eure), l'histoire de Charlène Bachelet fait écho à celle de Marie Thibaud.
En 2019, alors que sa fille de cinq ans vient de déclarer un neuroblastome (cancer du système nerveux) elle rencontre au CHU de Rouen une "autre maman". Celle-ci habite à Pont-de-l'Arche, à trois kilomètres de l'autre côté de la Seine.
"Un jour l'infirmière passe la tête par la porte et nous dit juste +il y en a d'autres+, avant de repartir", raconte Charlène Bachelet, policière. Son collectif recense désormais 16 cas dans le secteur depuis 2017.
- "Variation ponctuelle" -
Santé publique France retient de son côté 11 cas entre 2017 et 2019. "On a validé le cluster, mais les vérifications mènent à penser que c'est une variation ponctuelle du nombre de cas", affirme Stéphane Erouart, à l'époque médecin à l'ARS de Normandie, aujourd'hui à Santé publique France.
Là aussi, le collectif "Cancer, la vérité pour nos enfants" poursuit ses propres analyses, sur l'eau de la Seine, les sols environnants et les cheveux des enfants.
"Tout ce qui est en faveur de la recherche, c'est positif", juge Stéphane Erouart. "Les cancers pédiatriques, c'est un champ encore très vaste à explorer. A Pont-de-l'Arche et Igoville, on n'a pas trouvé d'anomalie environnementale sur ce qu'on connaît dans l'état de la science actuelle", explique-t-il.
Une autre association a vu le jour à Saint-Rogatien, bourg de 2.000 habitants en Charente-Maritime, où les familles s'interrogent aussi sur l'origine de cas de cancers pédiatriques.
Alban, 12 ans, est aujourd'hui guéri. "Pour lui et les autres", Marie Thibaud veut continuer à mobiliser.
Reçue au printemps au ministère de la Santé, elle apparait aussi dans le documentaire France Télévisions que Valéry Gaillard et Jean-François Corty, par ailleurs président de Médecins du monde, ont consacré cette année aux "parents-experts" de Sainte-Pazanne.
Pour Marie Thibaud, "s'il y a des trous dans la raquette de la prévention, c'est maintenant qu'il faut les combler."