Sécheresses: puiser en Corrèze pour recharger la Charente, projet fou ou solution ?

Puiser de l'eau en Corrèze, en amont de la Dordogne, pour approvisionner la Charente distante de 200 km, voilà l'une des "solutions de rupture" étudiées par l'agence de l'eau Adour-Garonne face aux sécheresses grandissantes.

Sur le bassin de la Charente, dans l'ouest de la France, les débits des cours d'eau devraient baisser de 30% à 40% en étiage d'ici 25 ans en raison du changement climatique, selon l'enquête prospective Charente 2050. Avec un risque pour l'agriculture et l'alimentation en eau potable d'un territoire très touristique, incluant l'agglomération de La Rochelle (180.000 habitants).

Voilà pourquoi l'agence de l'eau Adour-Garonne et trois départements (Charente, Charente-Maritime, Corrèze) ont diligenté une étude sur les "solutions de ruptures" possibles, révélée par le journal La Tribune.

Elle doit être communiquée aux élus d'ici l'été, selon ses commanditaires.

"L'idée, c'est de ne pas s'interdire de réfléchir" et "d'étudier tous les scénarios, même les plus fous", résume auprès de l'AFP Pascal Coste, président (Les Républicains) de la Corrèze, qui prône la "solidarité" entre départements et une approche "visionnaire".

Les pistes retenues envisagent de prélever, en hiver, des millions de mètres cubes d'eau sur la Dordogne, et de les canaliser à travers le plateau de Millevaches jusqu'à la Vienne, puis de la Vienne à la Charente pour la recharger l'été.

- "Vieux comme les Romains" -

Selon leurs promoteurs, de tels travaux coûteraient "entre 300 et 600 millions d'euros", avec "dix à quinze ans" de chantier une fois un consensus politique trouvé.

"Il ne faut pas laisser croire que demain on a les pelleteuses sur le territoire ! Aujourd'hui on étudie le champ des possibles", démine Nicolas Ilbert, directeur de la délégation Atlantique-Dordogne de l'agence de l'eau.

Des précédents existent en France: canal de Provence, canal de la Neste (Hautes-Pyrénées) ou encore projet Aqua Domitia, du Rhône vers le Languedoc-Roussillon.

"Les basculements (d'eau) d'un secteur à un autre, c'est vieux comme les Romains" et leurs aqueducs, souligne Pascal Coste.

Pour l'hydrogéologue Alain Dupuy, il faut néanmoins regarder les durées de vie de ces projets, qui peuvent devenir caducs si leur dimensionnement se fait sans tenir compte de l'évolution des "conditions hydroclimatiques".

"Les grands transferts d'eau n'ont généralement pas une durée de vie éternelle", souligne le chercheur, qui voit dans ces projets "un élément de solution" aux sécheresses mais pas "une solution unique".

De fait, les collectivités traversées par la Charente, fleuve très artificialisé à la vidange trop rapide, travaillent à mieux retenir l'eau: renaturation, rétablissement de méandres, meilleure sobriété... Le bassin versant s'est constitué début avril en "démonstrateur" afin d'exposer ses pratiques.

Alain Rousset, président (Parti socialiste) de la région Nouvelle-Aquitaine, estime qu'un transfert d'eau "artificiel" solderait "l'échec de ce qu'on aura entrepris en Charente". Et redoute la réaction des associations environnementales si le projet, actuellement "en phase d'étude", se concrétise.

- "Pharaonique" -

Les solutions doivent être "locales", confirme Anne Deloule, de l'association Eaux'Actes Xaintrie Val de Dordogne.

"On ne va pas aller chercher de l'eau à l'autre bout du monde. C'est un travail pharaonique", juge cette militante, s'interrogeant sur un projet "très techniciste", dans "un écosystème déjà fortement endommagé".

EDF, de son côté, pourrait pâtir d'un moindre débit pour la production de ses barrages sur la Dordogne. L'électricien, qui dit prudemment vouloir contribuer à l'évaluation des "potentiels impacts" du projet, rappelle dans un communiqué l'importance d'"optimiser (la) gestion" de l'eau et de "concilier les usages".

Mais l'agence de l'eau se veut rassurante: si un tel transfert devait intervenir, il doit être "neutre pour le départ" et "bénéfique pour l'arrivée".

Pascal Coste assure, lui, que la Corrèze devrait bénéficier de "5% de précipitations en plus à l'horizon 2050", citant une projection climatique commandée par le département.

Reste à assurer "l'acceptabilité sociale" du transfert, admet l'élu: "On ne va pas (...) faire du soutien d'étiage et puis, de l'autre côté, aller arroser les golfs" sur le bassin de la Charente.

Allusion à la pression touristique sur ce territoire littoral très attractif (52,6 millions de nuitées dans les Charentes en 2023).

Il ne faut pas augmenter le tourisme "au-delà de nos capacités en alimentation de l'eau", souligne Sylvie Marcilly, présidente de la Charente-Maritime, qui prône en outre une "sensibilisation" des estivants.