Pouvez-vous présenter Circul'R en quelques mots ?
Circul'R est un cabinet de conseil et de formation spécialisé dans l’économie circulaire. Nous accompagnons des entreprises privées (grands groupes, PME, TPE) et des organisations publiques (collectivités, institutions publiques, etc.) dans la mise en place de modèles d’économie circulaire. Il s'agit de modèles économiques plus sobres en ressources et moins générateurs de déchets.
Vous annoncez une phase d’expérimentation sur une coalition impliquant 13 grandes marques de l’industrie cosmétique, c’est bien ça ?
Exactement. Fin 2023, nous nous sommes réuni avec 11 marques de l’industrie cosmétique et deux distributeurs, Sephora et Nocibé. Ces marques, réparties sur différents canaux de distribution. Certains marques sont distribuées en pharmacies, d’autres sont distribuées dans leurs propres réseaux, comme Aroma-Zone et Yves Rocher, et on a des marques qui sont distribuées chez Sephora et Nocibé. Et l’objectif qu’ont s’est fixé c’est de tester l’intérêt et la faisabilité du réemploi.
Nous avons défini ensemble une offre produit soumise au dispositif de réemploi. Le consommateur achète son produit, l’utilise, puis le rapporte en point de vente. Là, il reçoit une gratification, qui varie selon les canaux de distribution. Ensuite, nous collectons, trions et lavons les emballages éligibles ou recyclons les autres.
Il y a cinq grands enjeux et attentes des marques et distributeurs pour cette coalition. Pour tester l’intérêt du réemploi, les marques sont là vraiment dans une idée de test and learn pour se forger des convictions sur le plan technique. Donc on veut gagner en expertise sur le lavage.
Ce n'est pas la même chose quand on cherche à recycler des packs. Ce n'est pas très grave si le consommateur les rapporte en mauvais état. Quand il s’agit de les réemployer, au contraire, il y a un grand enjeu de préservation.
À la fois sur le plan technique. On veut gagner en expertise sur le lavage, comprendre quelles sont les conditions d’un lavage réussi. Quelles sont les typologies de produits et d’emballages qui justement fonctionnent mieux au lavage, ce qui nous permettra demain de mieux éco-concevoir les produits en vue du lavage et du réemploi.
Sur le plan technique également, les participants cherchent à bien comprendre les implications opérationnelles du réemploi parce que cela suppose du coup la mise en place d’une boucle de collecte et de logistique inversée qui n’existe pas actuellement. Donc, on est là pour tester cet aspect technique aussi et vérifier aussi les conditions d’un transport qui soit préservant des packs collectés. Ce n'est pas la même chose quand on cherche à recycler des packs. Ce n'est pas très grave si le consommateur les rapporte en mauvais état. Quand il s’agit de les réemployer, au contraire, il y a un grand enjeu de préservation. On a un troisième objectif qui est celui de tester l’appétence du consommateur pour le réemploi. Donc c’est pour ça qu’on va lancer une étude consommateur sur le terrain dans les différents canaux de distribution pour bien comprendre justement quelles sont les réactions du consommateur, quelles sont ses attentes, quels sont ses freins. Et ça, ce sera riche d'enseignements avant d’imaginer un déploiement du dispositif à une échelle plus large.
Quatrième objectif, c’est d’appréhender les conditions de performance environnementale et économique de ce modèle-là. Donc, encore une fois, on teste à toute petite échelle et on va venir modéliser les conditions de performance pour un déploiement plus large. Et dernier objectif, c’est que les points de vente sont clés en fait dans la mise en place d’un modèle de réemploi réussi. À la fois pour communiquer auprès du consommateur, lui expliquer l’intérêt de la démarche, la différence aussi, tout simplement, entre le recyclage et le réemploi, et ensuite, faire en sorte que l’expérience consommateur soit la plus fluide possible.
Donc que pour le consommateur, ce soit très clair ce qu’il a à faire, que le geste retour soit simple, soit gratifiant et lui donne envie de recommencer. Donc les points de vente sont clés et on veut aussi bien apprendre de la manière dont les points de vente ont vécu cette expérimentation pour également définir des conditions de succès à une échelle plus importante.
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Qu’est-ce que vous avez mis en place pour espérer un passage à l’échelle ?
Alors aujourd’hui, on n’est pas du tout à l’échelle justement. On est vraiment dans la phase de R&D et du projet pilote. Pour vous donner des chiffres, on est pour l'instant sur deux à trois pharmacies, les recrutements dans les pharmacies sont toujours en cours. On est sur trois magasins Yves Rocher, deux magasins Aroma-Zone et sur Sephora et Nocibé. En tout, sur environ une quarantaine de points de vente. Donc on est à cette échelle-là.
C’est à cette échelle-là qu’on a commencé à lancer chez Yves Rocher, Aroma-Zone et les pharmacies en septembre-octobre, qu’on va lancer en janvier pour le luxe. Et donc l’objectif, c’est de se laisser jusqu’à l’été 2025, là d'arrêter la collecte, et sur la deuxième partie du semestre 2025, tirer les enseignements pour voir justement si les marques, en fait, ont intérêt sur le plan environnemental, économique, consommateur, à déployer à une échelle plus large, et si oui, à quelles conditions en fait.
Au niveau des gammes de produits, l’ensemble des marques va distribuer combien de produits ?
Par exemple sur le luxe, chaque marque a choisi entre 10 et 20 références produits. L’idée c’est que ce soit aussi lisible en fait en point de vente, qu’on ne dise pas aux consommateurs : "Il y a ce produit-là en haut à droite et celui-là en haut à gauche".
Et le point sur lequel vous êtes les plus vigilants justement dans le process, c’est quoi ? La remise en l’état ? Le lavage ?
Alors, l'enjeu est à chaque étape, à chaque niveau. Déjà, le consommateur, il faut qu'il comprenne bien qu'on ait les leviers pour lui faire bien comprendre l'opération. Par exemple, sur des réseaux intégrés comme Sephora ou Nocibé, on a la chance d'avoir une relation consommateur qui est déjà bâtie, établie en dehors du point de vente. Donc, on peut aussi le contacter par mail pour expliquer le dispositif. Et déjà, il y a l'enjeu que ce soit clair pour le consommateur. Donc, que les points de vente jouent le jeu en fait, du stockage des produits, de la mise en place de la signalétique. Ça, c'est déjà le premier point.
Tout est possible. Les marques ne sont pas obligées de se coordonner, elles peuvent raisonner leur stratégie de réemploi de manière individuelle. Mais en fait, si les marques se sont réunies, c’est qu’il y a toujours un intérêt à fonctionner en coalition pour la mise en place d’un projet comme ça, pour plusieurs raisons.
Ensuite, quand le consommateur rapporte le produit, on a l'enjeu que justement, les consignes soient suffisamment claires et que les magasins soient suffisamment embarqués pour qu'il n'y ait pas de perte en point de vente et que, du coup, on récupère bien tous les packs rapportés par le consommateur. Et, en ce qui concerne toute la phase de logistique inversée, on a l'enjeu que les packs ne se cassent pas, qu'ils arrivent dans le meilleur état possible. Là, on a la chance de pouvoir s'appuyer sur un spécialiste de la logistique inversée. C'est pour ça qu'on a choisi ce logisticien, qui a fait de la logistique inversée son métier.
Et ensuite, sur le lavage...on sait qu'aujourd'hui, la manière dont le pack est laqué, sérigraphié, etc., ce n'est pas pensé pour le réemploi. Et donc, on sait que nous allons apprendre et que les résultats ne seront pas 100 % positifs dans l'état actuel, mais nous savons que nous allons avoir les enseignements nécessaires pour mieux concevoir les packs demain, si on veut les réemployer à terme.
Un consortium a l'avantage de donner de la visibilité, évidemment, et de créer un mouvement aussi d’acte d'achat chez le consommateur. C’est beaucoup plus puissant que si c’est une marque toute seule. Puis ça permet de donner aussi corps à une expérimentation. L'étape d'après, si les signaux sont au vert, c’est que chacun jouera ensuite dans son propre jardin ?
Tout est possible. Les marques ne sont pas obligées de se coordonner, elles peuvent raisonner leur stratégie de réemploi de manière individuelle. Mais en fait, si les marques se sont réunies, c’est qu’il y a toujours un intérêt à fonctionner en coalition pour la mise en place d’un projet comme ça, pour plusieurs raisons.
Déjà, on veut réaliser des effets d'échelle et définir un modèle qui soit viable sur le plan économique. Il y a donc tout intérêt à mutualiser les coûts et à massifier les volumes. On se rend bien compte que, effectivement, dès lors que tout est massifié, par exemple, dans un centre de tri chez ce logisticien, l’envoi aux laveurs va coûter beaucoup moins cher que si chaque marque le gérait de son côté. Donc, de toute façon, les marques ont intérêt à raisonner ensemble. Ensuite, l'enjeu est d'engager les consommateurs et les distributeurs. Du coup, il faut parler de la même manière aux consommateurs et développer des pratiques qui soient standardisées pour le distributeur. C’est une condition de succès. Le distributeur n’a pas envie de gérer la modalité d’incitation de la marque A, la modalité d’incitation de la marque B, ou encore le dispositif de collecte de la marque Z. Il veut que ce soit simple, et c’est à cette condition qu’il pourra jouer le jeu.
De la même manière, le consommateur doit pouvoir mettre en place un dispositif de réemploi de consigne en France, et il faut lui parler avec une sémantique qui soit la même et standardisée, avec une incitation qu’il retrouve partout. Il y a donc cet enjeu de définir cela au niveau cosmétique, mais au-delà de cela, dans tous les secteurs, si on veut que cela fonctionne et ne pas perdre le consommateur. C’est pour cela que, justement, on travaille main dans la main avec notre sponsor, Citeo, à la fois sur le plan financier et opérationnel.
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