Le Plateau de Millevaches, "une terre de non-droit"? Des élus du Limousin l'affirment face à des actes de sabotage dans ce territoire rural où la présence historique et renouvelée d'une population réputée proche de l'ultragauche nourrit méfiances et tensions.
En décembre, fait rare, le maire d'Aubusson (Creuse) et sa majorité au conseil municipal ont voté pour dissoudre la communauté de communes Creuse Grand Sud, en partie située sur le Plateau de Millevaches, ou "Montagne limousine".
"C'est en train de devenir une terre de non-droit, avec des élus dont les objectifs politiques ne sont pas vraiment de nature républicaine et qui sont conciliants avec les fauteurs de troubles", affirme le maire, l'ex-socialiste Michel Moine.
Quelques semaines auparavant, il avait vu dans le sabotage d'une course de moto, l'En'Duo du Limousin, la "goutte d'eau qui fait déborder un vase bien plein". Le 4 novembre, le parcours de l'épreuve avait été défléché, désorientant plusieurs dizaines de pilotes dont certains, égarés, se sont retrouvés en état d'hypothermie.
"Il aurait pu y avoir des morts!, déplorait alors Boris Labrousse, organisateur de l'En'duo. Certains se sont opposés à la course pour des opinions écologiques, en bloquant pacifiquement un chemin, mais derrière il y en a d'autres qui sabotent et mettent en danger".
La gendarmerie enquête, tandis que la rumeur sur le Plateau désigne l'ultragauche, à laquelle on impute d'autres faits survenus ces dernières années. "Il y a des sabotages, des menaces et des conflits au quotidien", assène Jouany Chatoux, producteur de chanvre qui a déposé une trentaine de plaintes.
Pour cet agriculteur local, les coupables sont tout désignés: "C'est l'ultragauche aux dérives écologistes qui est de plus en plus présente sur le Plateau depuis 2008 et l'affaire de Tarnac" (Corrèze), village des environs où des membres présumés de la "mouvance anarcho-autonome" avaient été arrêtés pour le sabotage de lignes SNCF avant d'être relaxés dix ans plus tard.
- Alternatifs -
Le Plateau de Millevaches, territoire de forêts et de champs peuplé d'environ 10.000 habitants sur 1.800 km2 entre Corrèze, Creuse et Haute-Vienne, fut d'abord un bastion historique du communisme rural, rappelle l'historien Dominique Danthieux, avant d'accueillir des "alternatifs" à partir des années 1970.
"Ces personnes ne se reconnaissent pas dans le système capitaliste, ni dans la gauche classique. Elles sont venues là en pensant que le territoire leur serait favorable, puisque très à gauche, poursuit ce spécialiste des lieux. Mais les locaux n'ont pas compris ce que ces gens, qui avaient un bagage universitaire et étaient promis à une belle ascension dans les grandes villes, venaient faire ici".
Cette incompréhension semble perdurer aujourd'hui entre nouveaux arrivants et population de souche. L'agriculteur Jouany Chatoux décrit ainsi "des jeunes en rupture avec la société, qui ont un haut niveau d'études et des moyens financiers importants car ce sont tous des fils à papa-maman (...) qui ont commencé à louer des bâtiments, acheter des fermes et monter des bouts de cabane".
Dans une forêt entre Creuse et Corrèze, au bord d'un lac, un ancien camp de vacances d'EDF, où yourtes et cabanes ont été installées, incarne ces tensions autour du mode de vie choisi par certains. L'AFP a tenté de les rencontrer mais ils n'ont pas souhaité s'exprimer.
Le "Syndicat de la Montagne limousine" observe la même réserve médiatique. Créée par des habitants du Plateau, cette structure est accusée d'être un relais de l'ultragauche pour avoir appelé à se mobiliser, par exemple, contre les "bassines" des Deux-Sèvres.
Elle a répondu fin décembre dans un communiqué: "Non, le Syndicat ne vise pas à attaquer les personnes individuellement mais, parce qu'il prend au sérieux les engagements et les perspectives qu'il a définis, il sait qu'il ne peut pas faire l'unanimité et que la démocratie est forcément conflictuelle".
Pour Dominique Danthieux, les militants radicaux sont "une toute petite minorité" parmi les alternatifs du Plateau, "essentiellement des jeunes".
- Revendications -
Selon Baptiste Porcher, procureur de la République à Limoges, la mouvance avait revendiqué l'incendie de cinq véhicules de gendarmerie dans une caserne de la ville en 2017. Le tribunal correctionnel juge les faits ce mardi.
"L'ultragauche a aussi revendiqué l'incendie volontaire, en 2021, d'une antenne-relais TNT aux Cars (Haute-Vienne) et de plusieurs véhicules dans l'enceinte d'Enedis à Limoges en 2020", ajoute le magistrat.
Les policiers de la sous-direction antiterroriste ont arrêté six personnes pour ces faits, dont la directrice de l'école de Gentioux-Pigerolles (Creuse), un village d'à peine 400 habitants au coeur du Plateau. Elle et deux autres interpellés ont été mis en examen.
D'autres incidents alimentent les suspicions, comme une dégradation d'engins forestiers en 2021 dans la Creuse ou l'étêtage de 300 jeunes sapins Douglas en 2022 en Corrèze. En Haute-Vienne, quatre personnes ont été mises en examen le 19 janvier pour la destruction d'équipements éoliens en 2022.
A Gentioux-Pigerolles, l'arrestation de l'institutrice, sexagénaire, et les moyens déployés par les forces de l'ordre avaient suscité de vives réactions. "C'était vraiment excessif et ça n'a fait qu'attiser les tensions. Ailleurs, il n'y aurait pas eu des dizaines de véhicules (de police) pour intervenir", estime le maire Benjamin Simons.
Le village est souvent cité comme l'épicentre des tensions mais l'élu nie toute proximité avec l'ultragauche ou les actes d'écologistes radicaux.
"Il y a des tendances très diverses dans mon conseil municipal et aucun appel à des sabotages, même pour des raisons environnementales. Nous étions opposés à l'En'duo du Limousin car il traversait des zones humides mais nous sommes dans la défense pacifique de l'environnement, comme beaucoup d'habitants du Plateau depuis longtemps", affirme M. Simons.
Catherine Couturier, députée LFI de la Creuse, dit partager les engagements écologistes mais regrette les actes radicaux de "certains individus", en faisant la différence "entre s'en prendre au matériel et s'en prendre à l'humain avec des actes qui peuvent mettre en danger".
Le 10 février, le préfet de Corrèze a pris un arrêté pour interdire l'accès à une forêt où une prochaine coupe rase est contestée, évoquant des appels à manifester relayés par un "média de la mouvance ultragauche violente".
Après l'épisode de l'En'duo, certains s'inquiètent pour le passage du Tour de France sur le Plateau, le 9 juillet, alors que l'épreuve cycliste est devenue la cible d'activistes lors de sa dernière édition.
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