Sûreté nucléaire: les chercheurs de l'IRSN déboussolés par le projet de démantèlement

Etude du vieillissement des cuves des centrales nucléaires, lutte contre le cancer ou suivi du radon naturel: les experts de l'IRSN, institut que le gouvernement s'apprête à supprimer, sont devenus une référence mondiale dans la recherche sur les effets des radiations sur l'environnement et la santé.

"Toute notre expertise pour vous protéger": la phrase d'accueil du site internet de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire résume la mission de cet établissement public, qui joue le rôle d'appui technique de l'Etat le plus nucléarisé du monde afin de prévenir tout accident majeur dans ses 56 réacteurs.

A la surprise générale, le gouvernement a annoncé le 8 février sa décision de le fondre dans l'ASN, l'Autorité chargée d'accorder les autorisations de fonctionnement des centrales, au nom d'une amélioration de la "fluidité" entre les deux organismes.

Samedi, il a déposé deux amendements au projet de loi en cours d'examen à l'Assemblée nationale sur l'accélération des constructions nucléaires, pour rendre le processus irréversible en élargissant le champ des missions de l'ASN, et en permettant le transfert des agents de l'IRSN. L'adoption du texte est prévue pour la mi-mars.

Déboussolés par cette "attaque en règle", les près de 1.800 experts, chercheurs ou ingénieurs, très attachés à leur indépendance et surtout à la dualité du système qui sépare l'expertise de la décision, jugent la décision "abrupte" et "injustifiée".

Peu habitués aux conflits sociaux, ils prévoient une manifestation mardi devant l'Assemblée nationale, à l'appel de leur intersyndicale CGT, CFDT, CFE-CGC pour demander aux députés de ne pas adopter le texte.

Vendredi, le conseil scientifique de l'Institut a alerté sur un "risque de déstabilisation majeure" de l'établissement si cette fusion express était menée à bien. Le gouvernement a donc ajouté quatre groupes de travail chargés de plancher sur l'organisation jusqu'en juin.

Les chercheurs s'inquiètent surtout des "conséquences sur la crédibilité scientifique de l'expertise et de la recherche françaises dans le domaine des risques nucléaires et radiologiques et sur la confiance qu'elles inspirent".

Si l'ASN est présentée dans les médias comme "le gendarme du nucléaire", l'IRSN serait à la fois son médecin, son pompier et sa police scientifique, soulignent plusieurs chercheurs, interrogés par l'AFP sur le sujet.

- "Parole sous contrôle" -

"Notre système de contrôle est reconnu à l'étranger et a fait preuve de son bon fonctionnement", juge Thierry Charles, directeur général adjoint jusqu'en juillet 2020.

Beaucoup s'inquiètent de l'absence de garantie sur la publication des avis du futur organisme fusionné qui rapprochera sous un même toit l'expertise et la décision, même si le ministère de la Transition énergétique s'est engagé vendredi à maintenir une séparation entre les deux.

Le sujet est d'autant plus sensible que le gouvernement engage un nouveau programme de 6 à 14 nouveaux réacteurs EPR2 pour relancer la production nucléaire d'EDF en mauvaise situation économique, et prévoit d'allonger au delà de 60 ans la durée de vie du parc existant.

"Sur le sujet de la prolongation de la durée de fonctionnement des centrales, il y a des débats techniques et scientifiques sensibles, et le fait d'avoir un IRSN dont la parole serait sous contrôle est un véritable enjeu", estime François Jeffroy, délégué central CFDT.

"On a le sentiment d'être punis", "d'avoir mal fait" ce qui est "totalement injuste", ajoute Jean-Michel Bonnet, directeur santé au sein du pôle santé environnement, qui étudie notamment les pathologies induites par les rayonnements ionisants.

"Cette réforme va casser tout ce que la France a construit à partir des leçons des trois grands accidents nucléaires intervenus dans le monde, Three Mile Island aux Etats-Unis, Tchernobyl en Ukraine, et Fukushima au Japon", craint Nicolas Dechy, ingénieur spécialiste des "facteurs humains et des organisations".

Dans son site du Vésinet à l'ouest de Paris, chercheurs, chimistes ou ingénieurs analysent les données remontant de centaines de sondes placées près des centrales, dans l'eau des fleuves, mais aussi dans les outre-mer, ou sur le toit des ambassades de Kiev et Tokyo.

Les balises du réseau d'alerte mis en place après Tchernobyl (1986) mesurent en continu la radioactivité ambiante. Autant de données accessibles sur le site du réseau national de mesures de la radioactivité, une leçon de transparence héritée de Tchernobyl.

"A Fukushima, les citoyens étaient mal informés par l'exploitant Tepco, il manquait un expert indépendant comme nous qui publie les résultats d'analyse quoi qu'il arrive", ajoute M. Dechy.

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