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Finance durable

Décarbonation: l'Etat part a la recherche d'investisseurs

Construire des usines de batteries ou d'électrolyseurs, financer des réseaux de captage de CO2 ou des champs éoliens: alors que l'"économie écologique de marché" souhaitée par Bercy se heurte au mur de l'inflation, l'exécutif mise sur les investisseurs privés internationaux pour financer la décarbonation.

Financer la transition écologique est un chantier comparable en terme d'infrastructures à ce qui a été fait lors de la première révolution industrielle au 19e siècle avec l'arrivée des chemins de fer, souligne le gouvernement. Pour lancer la machine, Bercy a organisé mardi le premier "forum de Paris de la décarbonation", réunissant industriels, dirigeants de fonds d'investissement et banquiers.

Il serait "non seulement stupide", mais "inatteignable" de dépendre uniquement du fonds publics pour financer cette transition, a jugé le ministre Bruno Le Maire en ouvrant, en langue anglaise, le forum où se retrouvaient banquiers américains, investisseurs anglo-saxons ou européens et industriels à la recherche de financeurs.

Après avoir rappelé que le projet de budget de la France pour 2024 prévoit une rallonge de 7 milliards d'euros pour la transition énergétique et écologique, il a lancé un appel à "l'argent privé" et à "l'épargne privée" en présentant les mesures prises pour rassurer les investisseurs sur la stabilité et la clarté du cadre réglementaire notamment.

Les investissements nécessaires dans le monde pour rendre l'économie et l'industrie propres, afin de pouvoir continuer à produire de l'acier, du ciment, des engrais, des voitures ou des boites de conserve de petits pois, sans émettre de CO2 et sans réchauffer la planète, sont gigantesques.

"Jusqu'à présent, les montants investis dans la décarbonation se sont élevés entre 500 et 1 100 milliards de dollars par an, et si nous voulons vraiment que la décarbonation soit menée à bien, il faudra trois fois ce montant: environ 3 000 milliards de dollars" a estimé Raj Rao, président du fonds Global Infrastructures partners (GIP), l'un des principaux investisseurs dans le monde sur de gros projets d'infrastructures, invité au forum.

Emmanuel Lagarrigue, associé chez KKR et en charge des investissements climatiques du fonds américain, estime les besoins à "sept fois plus": "Si nous voulons vraiment arriver à net zero, nous parlons de 7.000 milliards de dollars par an" d'investissement, a lancé M. Lagarrigue.

"Eléphant au milieu de la pièce" 

Pour la France, le récent rapport Pisani-Ferri a évalué ces besoins entre 40 et 70 milliards d'euros d'investissement annuel afin d'atteindre la neutralité carbone. Selon Bruno Le Maire, l'Etat doit surtout avoir un rôle de "planificateur" et de "mutualisateur de risque" afin d'encourager les investisseurs privés à ouvrir les cordons de la bourse.

Pour faciliter les investissements, il a ainsi annoncé que l'Etat allait créer un nouveau régime de garantie des contrats d'approvisionnement en énergie pour sécuriser ceux qui investissent afin d'apporter de l'énergie verte à des industriels. La première signature a eu lieu mardi à Bercy entre l'industriel agroalimentaire Bonduelle, l'énergéticien Arkolia et la banque publique d'investissement BpiFrance.

Reste que la situation s'est compliquée avec l'envolée de l'inflation et des taux d'intérêt depuis début 2022, qui place de gros projets, notamment dans l'éolien, dans des situations difficiles. "Certains projets traversent une mauvaise passe, et sont touchés par une inflation massive et des augmentations de coûts" a admis Sven Utermöhlen, directeur général de la branche éolienne en mer de RWE Renewables."L'inflation c'est l'éléphant au milieu de la pièce" a ajouté Bruno Candès, partenaire chez Infravia Capital, selon lequel il faut trouver de "nouveaux moyens" pour financer de gros projets d'infrastructures.

Les crédits d'impôts récemment annoncés - notamment pour développer une filière de pompes à chaleur - ont été bien accueillis par les participants. Calqués sur le modèle américain du grand plan climat IRA annoncé par Joe Biden, ils sont "un système très efficace pour stimuler l'investissement" a jugé M. Utermöhlen.

La patronne de Bank of America en France Vanessa Holtz a fait valoir que d'autres sujets devaient être améliorés : la durée d'attente pour des autorisations de travaux d'infrastructures est encore beaucoup plus longue en Europe qu'aux Etats-Unis ou en Chine, a-t-elle dit.

Pour débloquer la situation, le directeur des investissements chez Arjun Infrastructures Romain Py a aussi appelé à une meilleure approche "coordonnée" sur la chaine logistique et les matières premières pour abaisser les prix.

Avec AFP.