Alessandro Musto, Head of ESG Integrations and Solutions chez Generali Insurance Asset Management.
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Tribune

Les enjeux de l’investissement dans la biodiversité

La protection de la biodiversité est un défi majeur pour les gouvernements, les entreprises et la société, elle devrait représenter un thème d’investissement prioritaire au niveau mondial d’ici 2030. Selon nous, nous ne sommes qu’au début d’une nouvelle tendance d’investissement de long terme qui doit être mieux analysée et définie.

Lors de la conférence des Nations Unies sur la biodiversité de 2022 (COP15), 188 pays ont convenu d’un objectif visant à protéger 30 % des terres et 30 % des zones côtières et marines d’ici 2030, dans le cadre de l’Accord mondial sur la biodiversité de Kunming-Montréal, qui a fait date. Ce cadre vise à accroître considérablement le financement de la biodiversité et à recourir à des fonds privés en vue de stimuler les flux d’investissement. Il prévoit la mobilisation de 200 milliards de dollars par an en financements nationaux et internationaux liés à la biodiversité (publics et privés), portant ainsi les flux financiers des pays développés vers les pays en développement à au moins 20 milliards de dollars par an d’ici 2025 et 30 milliards de dollars par an d’ici 2030.

Le déficit de financement de la biodiversité est difficile à mesurer, mais selon une étude de l’Institut Paulson, pour que la COP15 soit couronnée de succès, le total des flux d’investissement annuels dans la conservation de la biodiversité doit passer d’environ 140 milliards de dollars à 700-800 milliards de dollars, soit être multiplié par cinq. Cela signifie que de nouvelles opportunités d’investissement responsable se présenteront au cours des prochaines décennies. Les gouvernements devraient soutenir le secteur privé une fois que la définition et la surveillance des risques et des opportunités liés à la biodiversité seront plus précises. A l’avenir, les entreprises présentant un risque de biodiversité plus élevé devraient se négocier avec une décote et avoir des coûts d’accès à l’emprunt plus importants, comme cela est actuellement le cas pour celles dont les scores ESG sont les moins bons.

Challenges et perspectives

Le premier défi auquel les investisseurs sont confrontés est la qualité des données disponibles. Bien que de plus en plus d’entreprises s’engagent à protéger la biodiversité, seul un faible pourcentage de l’indice Eurostoxx s’est fixé des objectifs spécifiques. Ainsi, il est essentiel d’encourager une plus grande transparence et la communication d’informations par le biais de l’engagement.

Le deuxième défi réside dans la faible quantité d’investissements consacrés aux solutions en matière de biodiversité. Les entreprises qui répondent aux enjeux de la biodiversité sont généralement de petites ou moyennes capitalisations, ce qui rend difficile la création d’un portefeuille équilibré, en particulier dans le domaine obligataire. Cependant, à mesure que les entreprises communiquent de manière plus précise sur leur impact sur la biodiversité, nous nous attendons à ce que de nouvelles alternatives d’investissement consacrées à ces solutions voient le jour.

Le troisième challenge est celui des biais sectoriels introduits par les méthodologies simplistes. L’utilisation d’un seul indicateur peut fournir une vision incomplète, conduisant les investisseurs à surpondérer les secteurs à impact limité, tels que la technologie et la consommation. A mesure que la prime de risque liée à la biodiversité augmente, l’intégration de critères de biodiversité dans les processus d’investissement sera essentielle pour générer de la performance et prendre en compte ces nouveaux risques sur le moyen et le long terme. Par ailleurs, nous anticipons un changement dans l’allocation du financement des obligations vertes vers des projets liés à la biodiversité, en commençant par les obligations vertes souveraines et en s’étendant aux obligations vertes d’entreprise.

Les initiatives règlementaires solides et de publication d’informations à l’échelle mondiale et européenne représentent des perspectives encourageantes. Le Groupe de Travail sur la Publication d’Informations Financières relatives à la Nature (TNFD - Taskforce on Nature-related Financial Disclosures) est une initiative mondiale majeure conduite par le marché pour lever le problème des données. Ce cadre fournit des directives sur les indicateurs de biodiversité à communiquer afin d’accroître la transparence vis-à-vis des parties prenantes. La version finale du cadre de la TNFD devrait être publiée ce mois-ci, mais nous pensons que la phase d’adoption nécessite du temps pour prendre forme. Au niveau de l’Union européenne, la finalisation de la directive CSRD, relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, et du règlement Taxonomie de l’Union européenne qui détermine quatre objectifs encore à atteindre (eau et marine, économie circulaire, pollution, protection et restauration de la biodiversité) exerce une forte pression règlementaire sur les entreprises, les incitant à recueillir des informations sur leurs profils de biodiversité avant les changements légaux attendus en 2024-2025.

D’ici là, l’engagement est selon nous le meilleur moyen dont disposent les gestionnaires d’actifs pour comprendre les ambitions et impacts des entreprises et des émetteurs en matière de biodiversité. Compte tenu de la complexité du sujet, l’engagement peut se concentrer en premier lieu sur les facteurs que les entreprises devraient déjà avoir mesurés, tels que la consommation d’eau, la gestion des déchets, et en particulier les stratégies en matière de changement climatique.

Par Alessandro Musto, Head of ESG Integrations and Solutions chez Generali Insurance Asset Management.