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Des banques centrales guidées par les étoiles ?

Cette semaine, nous traitons (de nouveau... !) des banques centrales. Mais, cette fois-ci, de manière un peu différente.

Les banques centrales motivent leurs décisions, plus ou moins explicitement, en fonction de lettres étoilées. Elles positionnent leurs taux directeurs au-dessus ou en dessous d’un niveau dit « neutre » (r*), sont attentives à l’évolution du taux de chômage par rapport à son niveau d’équilibre (u*) ou encore à l’atteinte de leur objectif d’inflation (pi*).

Au cours de la décennie précédente, ces concepts sont progressivement tombés en désuétude. Récemment pourtant, lors du dernier Symposium de Jackson Hole – grand-messe des banquiers centraux – Jerome Powell (président de la Fed) a remis en avant ces notions, résumant la situation par la phrase suivante : « Nous suivons les étoiles dans un ciel nuageux ».

(r*)

Le taux d’intérêt neutre est celui qui équilibre les forces économiques. L’offre et la demande. L’épargne et l’investissement. C’est aussi celui qui n’entraîne ni surchauffe, ni refroidissement du couple croissance/inflation. Il est par définition inobservable et des trésors de modélisation sont déployés pour l’estimer. Pour les banques centrales, il s’agit d’un outil permettant de juger si la politique monétaire menée est susceptible d’impacter les variables économiques. Un taux directeur (r) supérieur à r* induit une politique monétaire dite restrictive, dont l’objectif est de ralentir l’économie et l’inflation. Inversement lorsque r < r*.

Depuis plus de 30 ans, r* n’a cessé de baisser dans les pays développés. Une moindre croissance tendancielle de l’activité et de l’inflation, un déséquilibre entre un trop plein d’épargne et trop peu d’investissements, en sont les principales explications. La conduite de la politique monétaire a donc été rendue plus compliquée, puisque pour soutenir l’économie, des taux directeurs de plus en plus bas et des pratiques de moins en moins conventionnelles ont dû être mis en œuvre. Depuis, les conséquences de la pandémie et de la guerre en Ukraine, ont obligé les autorités monétaires à passer au-dessus de ce seuil.

Lors de leur dernière réunion de politique monétaire, plusieurs membres de la Fed ont augmenté leurs prévisions de taux directeurs à long terme (approximation du taux neutre anticipé). Les investissements nécessaires à la transition énergétique, le dérèglement climatique, la relocalisation de chaînes de production, le vieillissement de la population, l’essor de l’intelligence artificielle… Tous ces éléments auparavant latents, ressurgis récemment, sont de nature à modifier la trajectoire de r*. A court terme les modélisations statistiques sous-estiment ces changements. Si elles sont vérifiées, la conjugaison de ces hypothèses pourrait en revanche justifier, sur un horizon lointain, des taux d’intérêt plus élevés qu’auparavant.

u*

Le taux de chômage naturel (u*) symbolise l’équilibre sur le marché du travail. Il est aussi assimilé au niveau qui n’accélère pas l’inflation. Son estimation est également entourée d'incertitudes. D’une fourchette de 5,2-6 % en 2012 à 4-4,4 % en 2019, la Fed a constamment révisé à la baisse ses prévisions, la poussant également à revoir son approche vis-à-vis de la dynamique inflationniste. En 2022, Olivier Blanchard et Larry Summers ont estimé que u* avait temporairement augmenté, jugeant ainsi qu’un taux de chômage plus élevé serait nécessaire pour juguler l’inflation. S’il est trop tôt pour accréditer cette thèse, nul doute en revanche que u* n’a pas fini de susciter les discussions.

pi*

La banque centrale de Nouvelle-Zélande a été la première à adopter le « ciblage d’inflation » en 1989. Fruit de travaux théoriques, cette technique s’est ensuite répandue. La Fed et la BCE ont, à cet égard, toutes deux opté pour un pi* fixe à 2 %, puis l’ont modifié pour un objectif plus flexible autour de 2 %.
Depuis plusieurs mois maintenant, des voix s’élèvent en faveur d’une augmentation des cibles d’inflation, en raison notamment des facteurs structurels évoqués plus haut. Pour le moment, il est risqué de changer les règles avant d’avoir terminé la partie. Il est néanmoins probable que ce débat gagne en intensité dans les années à venir.

La perception que l’on a des étoiles dans le ciel représente l’image passée de ces corps célestes. De la même manière, les banques centrales évaluent des paramètres qui ne sont peut-être déjà plus au niveau qu’elles imaginent. Sont-elles ainsi guidées ou bernées par les étoiles ?

Contenu rédigé par Florent Wabont, économiste chez Ecofi