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Fed : Le pivot du pivot ?

En comparaison de sa réunion de politique monétaire de décembre, la banque centrale américaine (Fed) a opté le 31 janvier dernier pour un discours plus « raisonnable ». Jerome Powell (président de la Fed) s’est montré plus prudent qu’auparavant, en insistant sur les conditions nécessaires à l’enclenchement d’un cycle de baisse des taux. Hasard du calendrier, la semaine dernière coïncidait aussi avec la publication du rapport de l’emploi, qui s’est montré bien plus vigoureux qu’attendu. Serait-ce le pivot du pivot ? Pas tout à fait, selon nous.

Pour une banque centrale, « pivoter » correspond au passage d’un discours prônant un durcissement de sa politique monétaire à une volonté d’assouplissement, et réciproquement.

Le pivot de la Fed est intervenu de manière « brutale » en décembre dernier. Nous avions alors qualifié l’attitude du président de l’institution de victorieuse vis-à-vis de l’inflation. Le 31 janvier dernier, Jerome Powell s’est montré plus pragmatique. Il a notamment insisté sur la nécessité de devoir accumuler les données susceptibles de pouvoir confirmer, pour de bon, le tournant désinflationniste. Ce fut notamment le cas lors de la session questions-réponses avec les journalistes, qui ont tenté de le « malmener » pour retrouver celui qui s’était déclaré, il y a un peu plus d’un mois, implicitement victorieux face à l’inflation. Fait inhabituel, Jerome Powell est allé jusqu’à indiquer qu’une baisse de taux en mars était hautement improbable, balayant de facto les anticipations de marché qui s’étaient formées sur cette date.

La semaine dernière coïncidait aussi avec la publication de données sur l’emploi. Outre le fait que les offres d’emplois non pourvues ont augmenté en décembre, alors qu’elles étaient attendues en baisse, ce sont surtout les nouvelles embauches qui ont provoqué la surprise. En janvier, les États-Unis ont enregistré 353 000 créations nettes d’emplois non-agricoles, alors que le consensus tablait sur un chiffre de 185 000. Les révisions des mois précédents ont également ajouté 350 000 emplois supplémentaires sur 2023. En outre, ces recrutements se diffusent même sur un plus grand nombre de secteurs en comparaison des mois précédents.

Il y a cependant quelques nuances à apporter. Les statistiques de l’emploi étant issues d’enquêtes, la qualité des échantillons est primordiale. Or il s’avère que depuis plusieurs mois, le taux de réponses est assez faible, bien en deçà de la moyenne pré-Covid, ce qui suppose un souci de fiabilité. D’autre part, toutes ces données ne transmettent pas le même message. L’enquête auprès des ménages (Household survey), dont est notamment issu le calcul du taux de chômage, dépeint un marché du travail assez morose, qui tranche avec les chiffres mentionnés ci-dessus. Les taux de démissions et d’embauches dans le privé (issu du Job Openings and Labor Turnover Survey) ont aussi fortement reculé. Aussi, le volume d’heures travaillées, publié en même temps que les créations nettes d’emploi, a quant à lui considérablement chuté en janvier. Au total, nous pensons que le marché de l’emploi est robuste, mais qu’il montre toutefois des signes de « craquelures », couplés à un sentiment que plus on analyse et décortique les données, moins on en sait. En tout état de cause, la situation laisse du temps à la Fed et éloigne l’idée d’une première baisse de taux en mars.

Cela laisse d’autant plus interrogatif que cette vigueur exceptionnelle de l’emploi s’est accompagnée d’une baisse de l’inflation en 2023. Ainsi, soit la croissance potentielle de l’économie américaine a augmenté, rendant non-inflationniste la solidité de l’activité actuellement, la productivité s’est accrue considérablement, permettant notamment d’absorber plus d’inflation salariale, soit le taux de chômage structurel a diminué, rendant là encore son niveau actuel moins inflationniste.

Quoi qu’il en soit, l’inflation américaine (core PCE) pourrait tangenter les 2,5 % dans les prochains mois. Le calcul d’une règle de Taylor modifiée, mettant notamment une emphase plus importante sur la déviation de l’inflation à sa cible, indique que les taux directeurs devront accompagner la diminution de l’inflation, afin d’éviter un degré de restriction monétaire trop important. Nous anticipons désormais que la Fed disposera lors de sa réunion du 1er mai, d’un jeu de données suffisamment fourni pour enclencher son cycle de baisse des taux...

Contenu rédigé par Florent Wabont, économiste chez Ecofi.