Des milliers de nouveaux modèles chaque jour, à des prix toujours plus bas. Telle est la promesse des géants de l’ultra fast-fashion comme Shein et Temu. Face à la menace de droits de douane exorbitants sur les produits en provenance de Chine, brandie par le président américain Donald Trump, ces entreprises vont-elles se reporter vers la France et l’Europe ? Eléments de réponse avec Yann Rivoallan, président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin.
Donald Trump a annoncé des droits de douane de 145 % sur les produits en provenance de Chine. Risque-t-on d’assister à un afflux massif des géants chinois de l’ultra fast-fashion vers les marchés français et européens ?
La première question à se poser c’est : à combien s'élèveront finalement ces droits de douane ? Trump est capable de passer de 40 % à 145 % en l’espace de quelques heures, donc je n’ai aucune certitude sur le véritable bilan de tout cela. Mais il y a des effets qui sont déjà visibles, comme la réaction de la Chine, et de Shein, vis-à-vis de ces annonces. Première réaction : la baisse importante du marketing aux Etats-Unis. Niveau publicité, ils n’investissent plus sur les Etats-Unis pour, au contraire, surinvestir sur les autres continents et poursuivre leur croissance. Donc l’inquiétude est certaine.
Nous devons être encore plus vigoureux dans notre combat contre ces plateformes et ces supports de contrefaçon, pour pouvoir retrouver de la splendeur dans notre créativité".
La deuxième chose à laquelle on assiste, c’est la guerre de communication encore plus intense que mènent non seulement Shein, mais aussi les Chinois, avec la mise en place de publicités pour des produits contrefaits qui ont recueilli des millions de vues sur les réseaux sociaux. C’est une décrédibilisation complète de la filière du luxe et de la mode, dans le but de montrer à quel point on dépend de la Chine, mais aussi de détruire le tissu social et économique qui existe dans notre pays. Et au-delà des milliers d’emplois détruits ces dernières années, on assiste également à une destruction complète de la valeur de la mode telle qu’on la conçoit en France et en Europe. Nous devons être encore plus vigoureux dans notre combat contre ces plateformes et ces supports de contrefaçon, pour pouvoir retrouver de la splendeur dans notre créativité.
Mais ce n’est pas nouveau. Tous les jours, on se bat contre ces produits jetables. Pour empêcher ce tsunami de nous tomber dessus, ce n’est pas un sprint qu’il faut mettre en place mais plutôt un marathon. Parce que même si une vague supplémentaire risque d’arriver, Shein a de toute façon déjà généré 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France sur ces 12 derniers mois, et Temu 1,8 milliard. Ces près de 5 milliards de chiffre d'affaires représentent déjà un tsunami démentiel, parce que chacun de ces produits vaut 10€, donc 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, c'est près de 500 millions de produits vendus. Ça concerne toutes les classes sociales, tous les foyers français.
Shein a nié tout changement de stratégie, et indique que son modèle repose uniquement sur la production à la demande. Qu’en pensez-vous ?
Ça fait partie du discours scandé par Shein depuis maintenant des années, et qui est d’un cynisme absolu. Ils parlent de production à la demande, mais c’est plutôt un vol organisé : cette production à la demande vient d'une créativité qui est volée à toutes nos marques. Regardons le procès que fait Lacoste à Shein. Regardons ce que fait Doc Martens. Regardons ces dizaines de marques qui ont été spoliées depuis maintenant des années par Shein. Ils produisent, comme ils le disent, à la demande, mais en réalité s’ils produisent c’est parce qu'ils nous volent en continu. Cette production à la demande est totalement insultante pour toute notre créativité.
Le deuxième point, c'est qu’ils parlent d’une production à la demande pour des raisons écologiques, alors que 10 000 nouveaux produits sont fabriqués chaque jour en 100 exemplaires minimum. Soit 1 million de nouveaux produits tous les jours. Donc oser dire qu'ils fabriquent à la demande, ça montre le cynisme absolu de leur démarche écologique. Ils sont à l’opposé de cette capacité à pouvoir fabriquer juste et bien, comme le font la majorité des marques françaises. Ils osent parler de créativité quand ils nous spolient. Ils osent dire qu’ils accompagnent des créateurs et des designers alors qu’ils détruisent des emplois. Ils osent faire croire qu'ils vont investir dans des sociétés mais ils détruisent tout un tissu économique. Et là, ils osent affirmer qu'ils ont une démarche écologique, alors qu'en réalité ils surproduisent et que 80 % de leurs produits sont en plastique.
Ces gens ont des comportements illégaux, auxquels aucune entreprise normalement constituée ne peut répondre, à moins de franchir elle aussi la ligne rouge. Donc c’est forcément avec la loi qu’il faut les arrêter".
Selon vous, est-ce qu’il est nécessaire de légiférer pour réguler l’afflux de produits venant de ces entreprises chinoises ?
Face aux mafieux, a-t-on d’autres solutions que légiférer ? Non. En fait, ce sont des individus qui sont malhonnêtes sur toute la chaîne de valeur. Ils volent nos créations. Ils ont une gestion de leur site illégale, avec des promos incessantes et illégales, et des intitulés eux aussi illégaux. Ils vendent des produits toxiques et cancérigènes. Ils proposent une logistique qui est gratuite, sponsorisée par un organisme mondial, ce qui leur permet d'envoyer des centaines d'avions-cargos tous les jours, remplis de produits majoritairement en plastique qui finissent sur les plages du Ghana. Ces gens ont des comportements illégaux, auxquels aucune entreprise normalement constituée ne peut répondre, à moins de franchir elle aussi la ligne rouge. Donc c’est forcément avec la loi qu’il faut les arrêter.
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La proposition de loi examinée l’année dernière à l’Assemblée nationale, et prochainement au Sénat, est très bien. Elle prévoit notamment l'interdiction de la publicité, une limite à 1000 nouveaux produits par jour – ce qui permet de protéger la créativité d’un côté, et de stopper ces plateformes de l’autre – et un système de bonus-malus. Mais, pour nous, il faut aller plus loin, et ça se joue évidemment au niveau de l’Europe dans un premier temps. Il faut taxer tous ces colis qui entrent en France et en Europe.
Il y a un autre sujet important : la surconsommation et l’appauvrissement des Français. Shein se présente souvent comme la marque des classes populaires. C'est, là aussi, d’un cynisme absolu. Premièrement, ils font surconsommer ces gens. À coup de rabais de quelques centimes, ils incitent ces gens à acheter encore plus qu'ils n'en ont besoin, et à chaque fois qu'on achète plus que ce dont on a besoin, on s'appauvrit. Deuxièmement, ces personnes qu’ils ciblent sont les personnes directement touchées par toutes ces destructions d'emploi, des emplois dans la vente principalement. Ce sont des personnes justement issues de ces classes populaires qui se battent tous les jours pour pouvoir vendre à chacun d'entre nous, à chacun des Français. Prétendre être le défenseur de ces classes populaires alors qu'on en est les fossoyeurs, c'est une honte absolue.