"Tout le monde veut de la haie", certifiait Marc Fesneau, ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, à l'occasion de la présentation du "pacte en faveur de la haie" en septembre 2023. Pourtant, depuis 1970, les trois quarts des linéaires français ont disparu sous les coups des remembrements et de la mécanisation agricole. Du côté des pouvoirs publics, avant 2006, l’étendue d’un arbre - branche comprise, était retirée de la surface agricole éligible aux aides de la PAC (Politique agricole commune). Comment dès lors expliquer le regain d'intérêt pour les haies et plus globalement l'agroforesterie ? D'où vient cette pratique et comment est-elle amenée à évoluer ? Eléments de réponse.
Qu’est-ce que l’agroforesterie ?
Comme son nom l'indique, il s’agit de la superposition, sur un même terrain, de cultures agricoles ou de pâturages et d’une production forestière (arbres ou arbustes). On distingue deux formes principales d’agroforesterie : les haies, entourant avec leurs 700 000 kilomètres les parcelles agricoles françaises. Elles délimitent et dessinent surtout les paysages du Grand Ouest, de la Normandie jusqu’aux Pays de la Loire. Les complantations, rassemblent quant à elles, l'ensemble des parcelles où se côtoient arbres et arbustes, herbes, cultures et animaux, en plein cœur des champs. Ces cocktails naturels pourraient peupler 400 000 hectares d'ici 2030 selon l'ADEME : des pré-vergers d’arbres fruitiers, des lignes de bois d’œuvre en pâturages ou de feuillus au milieu de cultures céréalières, géométriques ou complètement désordonnées.
Quand est-elle apparue ?
L’agroforesterie est vieille comme Hérode : durant la Grèce antique, les rangées d’oliviers et de vignes côtoyaient déjà céréales et légumineuses à leurs pieds. En France, elle a mis plus de temps à se faire une place dans les champs des paysans. Il faudra attendre 1650 pour voir les premiers bocages sortir de terre. L’agroforesterie était déjà le puits de grandes richesses : bois, fruits, fourrages… Et a eu de belles années devant elle durant plusieurs siècles, jusqu’aux Trente Glorieuses et l’instauration du plan Marshall en 1947. A l’aube de l’industrialisation et de la mécanisation de l’agriculture, ces rangées d’arbres bloquaient le passage des tracteurs et l’ambition d’agriculteurs cherchant à étendre leur SAU (Surface Agricole Utilisée) au maximum. L’agroforesterie disparaît alors peu à peu des campagnes françaises tout comme les paysans et leurs savoirs.
Cet article est extrait de notre dossier spécial : "Tout comprendre à l'agroforesterie, cette pratique agricole remise au goût du jour". A découvrir ici !
A quoi sert l’agroforesterie ?
D’après les chiffres du gouvernement, 5 156 études différentes ont été réalisées dans ce domaine depuis 84 ans. Ces "big datas" de l’agroforesterie ont permis d’exposer les nombreux avantages des complantations, à commencer par son rôle de barrière naturelle face aux sécheresses et aux inondations.
L’effet brise-vent des rangées de ligneux bloque à la fois les vents asséchants et le ruissellement de l’eau en cas de crue. D’après le rapport du projet européen "SAFE", réalisé en 2005 par l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement", le taux d’infiltration de l’eau sous une haie est de 100 mm/h contre 3,5 mm/h pour les cultures. Véritable éponge, elle absorbe l’eau quand elle inonde, et la stocke quand elle se fait désirer. En cas de fortes chaleurs, l’évapotranspiration (absorption par le sol d’eau liquide et diffusion de vapeur d'eau dans l'atmosphère) rafraîchit l’air environnant. Eponge, barrière mais aussi parasol : en plus de son ombre, elle réfléchit 20 % des rayons solaires et adoucit les températures de 2 à 8 degrés.
L'agroforesterie a par ailleurs un impact positif sur le bien-être animal. Lorsque le thermomètre affiche 40°C pour un être humain, un bovin doit supporter une température de 50°C. La faune sauvage s’en trouve elle aussi ravie, excepté les ravageurs : d’après l’Inrae, l’agroforesterie permet de limiter les dégâts des nuisibles à hauteur de 59 %. Sous nos pieds aussi, les verres de terre et bactéries remercient l’agroforesterie. La qualité du sol se voit augmenter, toujours d’après l’Inrae, de 19 %. A l'instar du humus forestier, la densité de carbone, azote et phosphore, s’en trouve considérablement accrue. Ce qui limite le besoin en intrants artificiels et pesticides, et réduit les charges de l’exploitant.
Cette pratique agricole permet également d'améliorer les rendements des parcelles sur le long terme. En plus de ces économies, la qualité du sol, le stockage de l’eau et l’effet brise-vent des haies viennent contribuer au bon développement des cultures sur l'ensemble du champs. A plus long terme, les arbres eux-mêmes peuvent représenter une source de revenus complémentaires : fruits, bois d’œuvre, fourrages pour les animaux, voire litières comme substitut de la paille. A tel point que le rapport du projet "SAFE" estime que l'agriculteur qui s’embarque dans l’agroforesterie peut espérer voir sa rentabilité exploser d’un tiers, trente ans après ses premières plantations.
Enfin, l'agroforesterie pourrait permettre de lutter contre le dérèglement climatique. Le projet 4 pour 1 000, propulsé par la COP21 qui a eu lieu à Paris en 2015, est né du constat suivant : grâce aux arbres, la quantité de carbone stockée dans le sol est deux à trois fois plus importante que dans l’atmosphère. Il suffirait alors d’augmenter cette masse de 0,4 % (donc 4 pour 1 000), dans les 30 premiers centimètres du sol, pour contrecarrer le réchauffement climatique.
Quelles sont les limites de ce modèle si défendu mais si peu appliqué ?
Les ligneux plantés en agroforesterie ne sont, malgré tous leurs bienfaits, pas des arbres magiques, purifiant air et sol à 100 % et offrant des billets de 100 euros comme fruits. L'agroforestier doit user d’une vision à long terme : si les rendements peuvent augmenter de 30 % après 30 ans, le projet "SAFE" estime les pertes à 5 % pendant les huit premières années. La concurrence entre cultures et arbres, n'est pas toujours compensée durant ces premières années. L’agroforesterie exige une grande expertise pour planter les bonnes espèces sur les bonnes terres : 150 agents des chambres d’agriculture françaises sont déployés dans toute la France pour former et accompagner les exploitants dans leurs projets. Enfin ces techniques sont chronophages, là aussi surtout pendant les premières années. Si ces projets nécessitent de renoncer à une partie de ces rendements, d'investir du temps, les frais de plantation et de recherche sont largement subventionnés par les régions et la PAC.
Quelles perspectives pour l’agroforesterie ?
Les partisans de l’agroforesterie, forts d’une vision à long terme, se font de plus en plus nombreux. En 2018, les scientifiques rassemblés à Sète (Hérault) lançaient un appel au financement pour la recherche, "à la hauteur de l’urgence de la situation". Leurs chants semblent parvenir aux oreilles des pouvoirs publics, puisque Marc Fesneau, actuel ministre de l’Agriculture, n’a pas tari d’éloge en faveur des haies. S’il n’évoque que très rarement les formes modernes d’agroforesterie, le locataire de Villeroy a présenté en septembre, aux côtés de Sarah El-Haïry, secrétaire d'Etat chargée de la biodiversité, "le pacte en faveur de la haie". 110 millions d’euros dès 2024 pour planter 50 000 kilomètres d’ici 2050. Malgré ces aides, les syndicats d'agriculteurs reprochent toujours au gouvernement d'appliquer une réglementation trop contraignante. Arnaud Rousseau, président de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles), a déclaré le 24 janvier dernier que "la profusion de normes empêche les agriculteurs de planter des haies". En réponse à cette colère, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé, deux jours plus tard, le 26 janvier, le passage de "quatorze règlementations à une seule concernant les haies".
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