"La sobriété est la priorité pour atteindre la neutralité carbone."
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Peut-on atteindre la neutralité carbone ?

Concept critiqué par certains économistes et scientifiques, la neutralité carbone est pourtant au cœur des politiques climatiques internationales. Est-il réellement possible de l'atteindre ? Éléments de réponses avec Alain Karsenty, économiste au CIRAD.

Atteindre la neutralité carbone revient à équilibrer les émissions de gaz à effet de serre et la capacité de la nature (forêts et océans) à les absorber, pour limiter leur accumulation dans l’atmosphère. Aujourd’hui, environ la moitié du CO2 rejeté stagne dans l’air et contribue au réchauffement climatique. Selon les experts du Giec, la neutralité carbone doit être atteinte globalement d’ici à 2050 pour rester sous la barre des 1,5 °C d'augmentation des températures.

Les signataires de l’accord de Paris de 2015 se sont engagés à afficher à terme un bilan "zéro émission nette". La France et l’Union européenne ont depuis réaffirmé l’objectif de la neutralité carbone d’ici 2050. Une volonté notable, mais qui rencontre plusieurs obstacles et critiques.

Vices de procédures

Selon l’Ademe, l’agence française de la transition écologique, "l’objectif de neutralité carbone n’a réellement de sens qu’à l’échelle de la planète". Hormis l’accord de 2015, aucun traité ne fixe de réelles contraintes aux États pour atteindre une neutralité globale.

Pour Alain Karsenty, économiste du CIRAD, "Chaque Etat joue sa partition, loin d’une logique coopérative. Des pays comme l’Inde, la Chine ou même le Canada profitent des défauts du système actuel, sans autorité centrale, et se dégagent des impératifs écologiques qui pourraient peser sur leur économie. C’est sans compter les délocalisations des émissions vers la Chine par exemple, qui ont permis à la France de verdir grandement son bilan carbone", ajoute le spécialiste des politiques environnementales.

Quand est-il alors des plus grands pollueurs, les multinationales ? Plusieurs entreprises se proclament publiquement neutres, grâce à une pratique suscitant de nombreuses critiques, la "compensation carbone". En contrepartie de leurs émissions, elles plantent des arbres pour restaurer les puits de carbone terrestres, sans pour autant chercher à effectivement rendre leurs productions plus vertes.

Pour que les émissions des grandes entreprises soient effectivement compensées, il faudrait que les arbres plantés absorbent du carbone sur une centaine d’années, ce que les firmes ne peuvent garantir dans l’immédiat" — Alain Karsenty, économiste au CIRAD

Les voies de la neutralité

Malgré ces limites, certains États, individus, et entreprises se sont mobilisés pour rendre plus vertueux leurs modes de vie, de production, de consommation. Depuis janvier, un décret contraint les entreprises françaises à n’afficher leur "neutralité carbone" uniquement si elles peuvent justifier d’un bilan carbone le plus respectueux possible. "Un vrai signal sur la responsabilité de la communication. Mais pas de communication du tout serait encore mieux !" commente Alain Karsenty.

"Plutôt que de chercher à compenser les émissions, les entreprises devraient essayer de les éviter, de les réduire, et surtout de contribuer à la décarbonation en investissant dans les projets qui diminueront leurs émissions lors de leur production", développe-t-il.

L’investissement dans les technologies bas-carbone est un pilier des stratégies des États et des entreprises. Selon l’Ademe, qui a envisagé plusieurs scénarios pour répondre aux engagements de neutralité carbone d’ici 2050, quelle que soit la voie choisie par les gouvernants, les renouvelables devront représenter a minima 70 % du mix énergétique français en 2050.

Dans le premier de ces scénarii, l’agence de la transition pose la question de nos modes de vie et de nos choix individuels. Elle propose une société de la "frugalité par la contrainte" où les vols intérieurs et les résidences secondaires seraient interdits, et les circuits courts, le local, et le véganisme privilégiés. "La sobriété est la priorité pour atteindre la neutralité carbone", appuie Alain Karsenty.

L’économiste rappelle que les politiques disposent d’outils pour inciter ménages et entreprises à modifier leurs modes de consommations et de production. À commencer par une taxe carbone sur certains produits, le fléchage des flux financiers vers les projets verts, et des investissements massifs.

L’Ademe envisage dans un autre scénario un "pari réparateur", où l’on miserait sur "les ressources matérielles et financières pour gérer, voire réparer les systèmes sociaux et écologiques". C’est dans cette direction que les scientifiques se penchent. S’il faut diminuer nos émissions, il est possible d’augmenter les capacités de capture de carbone. D’abord en transformant les cultures en forêts, en protégeant les océans.

Aussi en inventant de nouvelles formes de capture du carbone, comme le stockage dans les sols, ou les prototypes de capture dans l’air. Cette technologie nouvelle, dont le succès n’est pas garanti, pourrait permettre d’atteindre la neutralité carbone, à condition d’être couplée à des bouleversements dans nos façons de vivre, de consommer, et de produire.

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