Comment se porte la résilience* des sols face aux pressions environnementales et climatiques ? C'est la question à laquelle l'entreprise Genesis a souhaité répondre en publiant ce baromètre. Dans un communiqué, celle-ci précise qu'il s'agit d'"un outil essentiel pour l’identification des pratiques agricoles et sylvicoles bénéfiques ou au contraire à risque, et pour un dialogue factuel entre agriculteurs et industriels". Mais également d'un instrument de pilotage des politiques publiques et de celles des entreprises pour la protection et l’exploitation des ressources naturelles (agriculture, forêts, zones de captage d’eau, etc.).
Concrètement alors, quels en sont les résultats ? La répartition des sols français en fonction de leur état de santé est la suivante :
- 48 % sont en bon ou très bon état ;
- 35 % sont en état moyen, signe d’une dégradation modérée,
- 17 % présentent des niveaux de dégradation élevés dont 2 % sont en état critique.
"Un peu plus de la moitié des sols français est dégradée à des niveaux divers, est-il ainsi précisé. Les capacités de ces sols à assurer les fonctions écologiques sont altérées et il est urgent d’agir pour les préserver voire les restaurer, surtout dans le contexte actuel de changement climatique".
Quentin Sannié s'entretient avec ID sur le sujet.
Comment est née l'entreprise Genesis et quelle mission se donne-t-elle ?
Je suis un entrepreneur depuis longtemps, j'ai créé Genesis avec Adrienne De Mallerey, ancienne journaliste de Canal +, en 2019. Auparavant, j'étais le cofondateur et le CEO de Devialet, une entreprise dans le domaine de l'audio. L'agriculture fait partie des activités humaines qui ont l'impact environnemental le plus important, ce qui n'est pas incompréhensible étant donné que plus de la moitié du PIB mondial repose sur elle. La moitié de la surface du pays est constituée de terres agricoles. On imagine bien que ce qui est fait sur ces terres a un impact déterminant sur la biodiversité, le climat, sur l'eau... Globalement, et pas uniquement à l'échelle française, cet impact est délétère. On est dans une forme de déni de cette situation.
Alors qu'on mesure la qualité de l'eau et de l'air, concernant l'actif agricole, le premier actif naturel voire financier, au monde, personne ne mesure son état de santé. Il n'y a pas d'outils pour cela. C'est en tout cas le constat que nous avons fait en 2019. C'est l'éléphant dans la pièce. Au moment où nous avons eu l'idée de créer une agence mondiale de notation des terres cultivées, on s'est dit qu'en allant sur Internet, on en trouverait 200 ! Je n'en ai pas vu. Je me suis dit que j'avais mal cherché.
Nous sommes allés voir de grandes entreprises, et la FAO, l'ONU, l'UNCCD... On nous a dit "Ça n'existe pas et ce que vous faites est formidable, allez-y, foncez !"
Nous ne cherchons pas des coupables, nous cherchons à trouver des solutions. Nous nous adressons à un problème politique, au fond."
Tous les deux, nous ne sommes pas des spécialistes du sol, même si nous avons une certaine proximité avec le monde de l'agriculture. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons eu cette idée. En général, les ruptures ne viennent pas des gens du sérail.
On s'est demandé comment on pouvait vivre sans noter l'état de santé des sols, sachant que dans le sol, on peut mesurer le carbone et notamment la biodiversité car il y a des millions, des milliards de bactéries... C'est plein de vivant. L'idée est de se dire: "Si nous sommes capables de mettre entre les mains des décideurs qui ont à choisir des pratiques agricoles, des cahiers des charges (etc) un outil qui traduit l'impact anthropique sur le sol, alors nous pouvons changer les choses".
Nous ne cherchons pas des coupables, nous cherchons à trouver des solutions. Nous nous adressons à un problème politique, au fond.
Comment vous y êtes-vous pris, pour réaliser ce baromètre ?
Il a fallu bâtir tout un référentiel pour pouvoir interpréter l'analyse des 12 000 sols que nous avons étudiés et poser un diagnostic.
Mesurons, constatons, apprenons, corrigeons et réjouissons-nous ! Mais ne commençons pas par nous réjouir."
Nous travaillons aujourd'hui pour des entreprises privées. L'État ne nous a pas demandé de faire un diagnostic de l'état de santé des sols de France. Nous utilisons des prélèvements et des analyses de sols qui sont menés à la demande de nos clients, par exemple des vignobles en Australie, en Amérique du Sud, en France, des champs de coton...
Mais pour cette carte de France, nous avons utilisé de la donnée publique d'analyses et nous l'avons transformée en diagnostic normalisé grâce à nos algorithmes. C'est le seul cas. Cette carte n'a pas vocation à être regardée en deça d'une maille de 16 km, mais l'objectif est de tirer la sonnette d'alarme en arrêtant de nous gargariser d'une agriculture modèle. Notre agriculture fait des choses très bien, et d'autres beaucoup moins bien. On n'a pas globalement des sols meilleurs que les autres pays européens, et la catastrophe continue, alors qu'il existe des solutions. C'est agaçant. Mesurons, constatons, apprenons, corrigeons et réjouissons-nous ! Mais ne commençons pas par nous réjouir.
Selon les résultats de votre baromètre, les sols viticoles sont particulièrement préoccupants...
Oui car le raisin, c'est compliqué, qu'il pleuve ou qu'il ne pleuve pas. C'est difficile de garder une vigne en bon état. On a tendance à faire beaucoup de traitements, à travailler sur les sols... Là aussi, des gens font autrement et mieux. Mais il y a des régions avec de très gros problèmes... Les sols de Champagne sont très abîmés. Nous sommes tous complices de ce qu'il s'est passé. Mais encore une fois, je ne cherche pas de coupable, je cherche simplement à alerter et à ce que la question de la santé des sols, sujet plus compliqué à aborder que l'air ou l'eau, devienne fondamentale.
Quand nous avons créé l'entreprise, des gens nous ont dit : "la santé des sols n'existe pas, c'est un système dans lequel la vie s'épanouit". Effectivement, un sol n'est jamais mort mais justement, c'est parce que c'est complexe de diagnostiquer l'état de santé d'un sol qu'il faut le faire, pour pouvoir agir.
Mesurer, c'est apprendre. Un de nos clients, dans son approvisionnement, a vu qu'un de ses fournisseurs avait 100 % de ses sols en bonne santé, et l'autre 2 %. Quand il a vu ça, son réflexe n'a pas été de dire à celui qui n'en a que 2 % : "je ne travaille plus avec toi". Car ils ont des relations établies depuis longtemps, il a besoin de sa production. Mais il l'a fait travailler avec l'autre fournisseur en lui disant: "apprenez, parce que visiblement, chez vous, on ne fait pas ce qu'il faut".
*Genesis rappelle que la résilience est la capacité d’un sol à résister et recouvrer ses fonctionnalités suite à une perturbation. Les perturbations du sol sont induites par le climat (évènements extrêmes) ou la mise en œuvre de pratiques agricoles inadaptées. Les menaces pesant sur les sols sont : érosion et glissement de terrain, acidification, salinisation, perte de carbone, de structure et de biodiversité, et contamination.