Indépendance et souveraineté alimentaire, compatibilité des cultures avec les enjeux environnementaux, poids des lobbies… Alors que l’agriculture est en mutation sous l’effet de la conversion au bio ou encore de la demande croissante en produits plus vertueux, les semences sont au point de départ de toute réflexion, et le secteur semencier opère aujourd’hui, lui aussi, d’importantes transformations. ID s’est entretenu à ce propos avec François Burgaud, conseiller du président de SEMAE et ex-directeur des relations extérieures.
Pouvez-vous rappeler ce qu'est SEMAE ?
SEMAE, l’ex-groupement national interprofessionnel des semenciers (GNIS) est une interprofession, qui regroupe tous les acteurs de la filière semencière, depuis les sélectionneurs qui font de la recherche et de la création de nouvelles variétés, jusqu’aux utilisateurs finaux que sont les agriculteurs et les jardiniers. Dans les maillons de cette chaîne, on retrouve les entreprises de production mais aussi les agriculteurs multiplicateurs qui produisent les semences dans les champs. En France, on compte 240 entreprises de production, pour 70 entreprises de sélection, et plus de 20 000 agriculteurs multiplicateurs.
Agriculteur multiplicateur, cela signifie quoi concrètement ?
Cela signifie que lorsque vous créez une nouvelle variété, vous allez croiser différentes variétés existantes et analyser leur descendance pour y chercher des caractéristiques intéressantes. Une fois que vous estimez que vous êtes parvenu au résultat escompté, il va falloir multiplier le premier plant de cette nouvelle variété en semant à partir de ses graines. Car si cette variété est appréciée sur le marché pour ses propriétés, les agriculteurs vont finir par en utiliser des centaines de milliers de quintaux. Cela nécessite donc la multiplication. Pour le blé, il faut par exemple multiplier sur au moins six générations.
Si un agriculteur considère qu’un plant répond à ces critères, il peut spontanément se mettre à le multiplier ?
Oui en effet. Dans le cadre d’une loi votée du temps où Stéphane Le Foll était ministre de l’Agriculture sur les GIEE, des groupements d’agriculteurs, les agriculteurs peuvent s’échanger ces semences. En revanche, dès lors qu’il souhaite les vendre, l’agriculteur est soumis aux mêmes règles que n’importe quelle entreprise. Et il se trouve qu’en Europe, vous ne pouvez pas commercialiser une nouvelle variété végétale sans qu’elle ait été examinée par l’Etat.
Et cette procédure est-elle complexe ?
Pour les plantes potagères, elle est assez légère. Il s’agit juste de vérifier que lorsque vous revendiquez d’avoir créé une nouvelle variété pour la mettre sur le marché, on vérifie juste qu’elle n’existe pas déjà. Par ailleurs une nouvelle variété peut être une variété ancienne qui a disparu et que l’on veut remettre sur le marché, l’important étant qu’elle n’existe plus à l’instant t. En revanche, concernant les plantes agricoles, l’Etat et l’Europe demandent que l’on regarde si cette variété a un intérêt particulier, une qualité supplémentaire par rapport à toutes les variétés déjà cultivées. On pourrait se dire : « Pourquoi ne pas laisser les agriculteurs choisir ? ». La raison est que même avec cette pré-sélection, vous avez aujourd’hui 500 nouvelles variétés qui sont mises en marché chaque année en France. Sans cette pré-sélection, il y en aurait deux fois plus. Et quoiqu’il arrive, les agriculteurs ne peuvent pas essayer toutes les nouvelles variétés d’une espèce donnée chaque année.
Certains demandent une totale dérégulation, ou du moins la coexistence d’un catalogue et d’un marché libre. Que répondez-vous à cela ?
Le système consistant à supprimer le catalogue existe par exemple aux États-Unis. Mais pour ce qui est de la coexistence, dans les États de droit comme la France, il est impossible de faire des lois qui ne s’appliqueraient pas à tout le monde. En particulier, c’est impossible de faire une loi disant qu’un petit agriculteur pourra commercialiser une variété sans passer par le catalogue, qu’à partir d’une certaine taille il devra passer par le catalogue. Nous avons eu l’exemple avec la loi qui est passée il y a environ deux ans, qui dit que l’on peut vendre des variétés aux amateurs sans passer par le catalogue. Mais tout le monde peut utiliser cette loi ! Si la multinationale américaine veut vendre ses variétés aux amateurs, elle peut le faire sans passer par le catalogue. Le problème de la cohabitation des deux systèmes est que l’on ne maîtrise pas les acteurs qui vont décider d’utiliser ou non le catalogue.
Lorsque vous prenez la parole sur la filière semencière, vous parlez de filière d’excellence. Pourtant l’opinion accorde une place croissante à la transparence des conditions de production, à la qualité, aux enjeux écologiques et sanitaires…
Cela me semble parfaitement logique. À partir du moment où l’on résout le problème de la souveraineté alimentaire et que nous sommes rassurés que nos besoins soient couverts, il est normal de se demander si l’on ne peut pas améliorer cette nourriture, sur le plan qualitatif et gustatif. Ce n’est pas un hasard si dans les années 1960-1970, tout le monde était très content d’avoir des tomates toute l’année. Ce n’est qu’après ça que l’on a pu penser aux tomates issues du jardin de notre grand-mère qui étaient, dans notre souvenir, bien meilleures. Des restaurateurs ont aussi une démarche comparable, en s'attachant à travailler plus en amont sur le produit qu’ils utilisent. Tout cela crée de l’engouement pour les variétés anciennes de légumes et de fruits.
Est-ce que cela veut dire que les acteurs du monde de la semence sont aussi en transition ?
Oui, mais j’aurais tendance à dire qu’ils sont plutôt à la fin de leur transition. Dans l’interprofession, nous venons d’avoir une grande réflexion sur le sujet. La réalité est que le modèle de développement agricole a fait que l’on s’est pendant des années contenté de l’agriculture dite conventionnelle, et certains acteurs, qui ne s’y reconnaissaient pas, se sentaient en marge de l’interprofession. On leur a donc proposé de venir dialoguer avec nous, en sachant que nous allions forcément trouver des intérêts communs. Que l’on soit un paysan, une entreprise de sélection ou de production, l’objectif est que l’agriculteur dispose, dans les meilleures conditions, de la variété adaptée à ses itinéraires techniques, à ce que demande le marché, etc.
S’il y a des gens qui ne jouent pas avec la détresse du monde agricole, ce sont les semenciers.
J’ai lu que vous considériez que les semences doivent permettre de produire des aliments compétitifs vis-à-vis du consommateur, qu’est-ce que cela signifie ?
Cela veut dire que le consommateur français, et plus largement européen, est habitué à dépenser de moins en moins pour sa consommation. Il veut à la fois plus de qualité, des circuits plus courts par exemple, mais n’est pas forcément prêt à en payer le prix. Pour les semenciers, le défi est donc aujourd’hui de développer des variétés avec des rendements importants, qui sont indispensables pour nourrir les gens, mais aussi avec une résistance aux maladies et aux parasites pour éliminer, à terme, les produits phytosanitaires et les engrais chimiques, et qu’ils s’adaptent à des changements climatiques de plus en plus brutaux. On sait que l’on est sur une planète dont les ressources s’amenuisent, qu’il s’agisse des terres cultivables ou de l’eau, et l’on veut limiter le recours aux intrants chimiques. La seule solution pour résoudre cette équation est d’améliorer les plantes, et c’est le rôle de la sélection.
Le sujet des semences est presque passionnel en France. Ne joue-t-on pas aussi sur la détresse d’un monde agricole dont les professionnels sont piégés dans un système qui peine à évoluer ?
S’il y a des gens qui ne jouent pas avec la détresse du monde agricole, ce sont les semenciers. Déjà parce que les agriculteurs sont parties prenantes du secteur, à travers les 20 000 agriculteurs multiplicateurs. Et la France est le plus grand pays producteur de semences en Europe. Encore une fois, le souci majeur du sélectionneur est que sa variété ait suffisamment de qualités pour faciliter la vie des utilisateurs finaux. Je pense que le monde agricole a énormément évolué depuis une vingtaine d’années, et même les pratiques du grand industriel céréalier n’ont rien à voir avec celles qu’il avait il y a 20 ou 30 ans. Par exemple, l’agriculture biologique en France, qui était très en retard, se développe rapidement. Après, c’est aussi à la société, à un moment donné, de prendre conscience de ces enjeux. J’ai l’impression que tout à coup, les Français qui s’étaient désintéressés de la manière dont ils étaient nourris, se sont réveillés au moment du débat sur les OGM, sans forcément en comprendre les tenants et les aboutissants. Il a fallu faire tout une éducation en la matière : qu’est-ce qu’une semence, une espèce, une variété, etc. Aujourd’hui, le débat de la souveraineté alimentaire dans les années à venir est important, et il faut qu’il soit rationnel.
Vous avez apprécié cette information ? Abonnez-vous à notre newsletter en cliquant ici !
Pour aller plus loin et agir à votre échelle, découvrez notre guide pratique « L’écologie dans nos assiettes ».
Au sommaire : tout pour faire sa transition alimentaire en douceur et répondre aux enjeux d’une alimentation plus durable !
Pour en savoir plus et commander votre guide, c’est par ici.
Merci ! #TousActeurs