Pour Mathieu Delorme, directeur de l'Ecole d'architecture de la ville et des territoires Paris-Est (Université Gustave Eiffel), la nature a toujours habité l'espace urbain. L'ingénieur-paysagiste a retracé pour l'AFP la manière dont notre regard a évolué sur la question.
D'où vient l'idée de "ville-jardin" ?
La nature n'a en réalité jamais vraiment déserté la ville. C'est sa façon de l'appréhender qui change. Jusqu'au XXe siècle, on voyait encore du bétail dans les cours, des cultures maraîchères, des chevaux, du crottin partout...
Le mot "jardin" n'est apparu qu'au XIXe siècle avec les questions d'embellissement et de santé publique, en réaction à la révolution industrielle. Les réalisations du baron Haussmann et de son jardinier Adolphe Alphand ont fait émerger une nouvelle appréhension de la nature, avec le développement du réseau de grands parcs, squares, avenues plantées... Ces réalisations extrêmement dessinées ont donné à Paris sa trame végétale, que la Ville continue aujourd'hui d'amplifier par un maillage de plus en plus fin dans les rues, les ruelles, les impasses, les cours d'école...
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Une ville-jardin moderne, qu'est-ce que c'est ?
Aujourd'hui, la ville-jardin dépasse largement les questions végétales, pour prendre en compte la qualité de l'air, de l'eau, des sols. Elle doit répondre aux besoins de résilience, d'adaptation au changement climatique (îlots de fraîcheur, biodiversité, sols vivants, etc.). La notion des sols vivants est devenue fondamentale. Car le bon développement du végétal sur un trottoir désimperméabilisé dépend de la capacité du sol à pouvoir le nourrir : s'il n'est pas bien préparé, ça ne sert à rien !
N'oublions pas que les sols ont des fonctionnalités écologiques essentielles : stockage du carbone, réserve de biodiversité, rétention de l'eau... Des éléments déterminants en ville pendant les vagues de chaleur qui vont s'intensifier. Chaque degré compte, et chaque espace compte, du petit aménagement en pied de façade jusqu'aux grandes allées plantées, aux bois de Boulogne et de Vincennes... Tout ce réseau, préfiguré par Alphand, forme des corridors où l'humidité et la fraîcheur peuvent circuler.
Paris peut-elle mieux faire ?
La ville est probablement au maximum de ce qui est faisable dans un contexte urbain qui est l'un des plus denses d'Europe. Il y a dix ans Paris n'était pas bonne élève mais en 2023, elle a intégré le classement des dix plus grandes villes végétalisées de France, selon le palmarès de l'Union nationale des entreprises de paysages. Un signe de changements profonds.
Mais végétaliser au bon endroit n'est pas simple car les sous-sols parisiens accueillent de nombreux réseaux (métro, électricité, égouts...) que les systèmes racinaires peuvent désordonner. C'est un vrai travail d'acupuncture urbaine.
Sur le plan esthétique, je pense qu'il faut accompagner les Parisiens pour faire évoluer leur perception d'une nature urbaine très maîtrisée vers des formes plus libres : changer leur regard pour comprendre l'esthétique de la friche, le rôle des brins d'herbe entre les pavés... Comme à Berlin, où l'esthétique et l'imaginaire citoyen sont en phase avec une nature plus écologique. C'est un peu long mais ça progresse !
Mais attention au vocabulaire : quand la mairie parle de "forêt urbaine" pour les nouvelles plantations du parvis de l'hôtel de ville, ça crée une attente qui sera forcément frustrée. Une forêt c'est un écosystème complet, avec trois strates végétales, un sol profond. Mieux vaut parler de bosquets, ce qui reste intéressant en termes de densité végétale et de fonctions écologiques.
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Avec AFP.