Après des années de croissance, les fonds d'investissement "ESG", qui revendiquent la prise en compte de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs décisions, ne sont plus en odeur de sainteté sur les grandes places financières mondiales.
"On sent un désintérêt. Pour certains clients, si on met ESG sur la brochure, on nous claque la porte au nez", assure à l'AFP un responsable dans un gestionnaire d'actifs parisien.
Symbole de ce retournement: BlackRock, premier gestionnaire au monde, a quitté début janvier la Net Zero Asset Managers Initiatives (NZAM), une alliance mondiale financière pour la neutralité carbone, qui a aussitôt suspendu ses activités.
"L'enthousiasme s'est essoufflé" à la fois chez les investisseurs et les gestionnaires d'actifs, résume Hortense Bioy, directrice de la recherche sur l'investissement durable pour le spécialiste des données financières Morningstar.
Les fonds se revendiquant "ESG" ont subi sur les trois premiers trimestres de 2024 des sorties nettes de capitaux de près de 16 milliards de dollars aux États-Unis, selon Morningstar. En Europe, premier marché de l'ESG, la croissance est de plus en plus faible: les capitaux investis ont été divisés par deux sur la même période par rapport à 2023.
Du côté des fonds ETFs, des instruments populaires chez les épargnants individuels et qui reproduisent l'évolution de produits financiers, le recul a été de 24% en 2024.
"Greenhushing"
Ce revers est en partie lié à "une rentabilité plus faible depuis 2022", détaille Mme Bioy à l'AFP. Les titres liés aux énergies fossiles et à la défense ont profité de la guerre en Ukraine, quand les entreprises spécialisées dans la transition écologique ont cédé du terrain. Le S&P Global Clean Energy Index, qui réunit les titres de ce secteur à Wall Street, a reculé de 40% entre janvier 2022 et 2025.
La polarisation politique croissante autour du concept aux États-Unis rend les gestionnaires d'actifs frileux. "L'ESG est devenu un gros mot", explique à l'AFP Grégoire Cousté, directeur du Forum pour l'investissement responsable (FIR).
Pour aller plus loin : "L'ISR sur les principales classes d'actifs"
Plusieurs banques et gestionnaires américains ont été la cible de poursuites judiciaires lancées par une dizaine d'États conservateurs, qui accusent ces engagements d'entraver les lois sur la libre concurrence. Une réaction à la décision de Joe Biden, fin 2022, d'autoriser les fonds de pension à intégrer des critères d'investissement ESG.
Résultat, le développement de ce que les experts appellent le greenhushing: "on ne parle plus ou beaucoup moins des efforts que l'on fait en matière climatique", relève Hortense Bioy.
Et l'hostilité affichée de Donald Trump en la matière et de son soutien Elon Musk, qui a qualifié l'ESG d"'escroquerie", pourrait aggraver la situation.
Transparence
La finance durable est aussi la cible d'accusations croissantes de "greenwashing" ou écoblanchiment, entre flou juridique et écarts entre réalité et promesses qui détourne les épargnants.
En 2024, 70% des fonds ESG étaient exposés à des entreprises liées au charbon, au pétrole ou au gaz, selon un rapport de l'ONG Reclaim Finance. "L'ESG, c'est énormément de marketing, une manière pour certains gestionnaires de faire payer des frais plus élevés", tranche Lionel Melka, gérant de Swann Capital, auteur de "L'investissement à impact".
De nouvelles lignes directrices destinées à mettre de l'ordre dans la réglementation dans l'Union Européenne ont été proposées par l'Esma, le gendarme boursier européen, et doivent entrer en vigueur au printemps. Pour utiliser le terme "ESG" ou "durable", les fonds devront montrer qu'au moins 80% des investissements ont un objectif environnemental ou social, et exclure toute entreprises ayant 1% de leur revenus lié au charbon ou 10% au pétrole.
Cette législation devrait aboutir à une réduction de "30 à 50% du nombre de fonds" estampillés ESG, selon Morningstar. En France, le label d'Etat ISR a lui aussi durci ses règles au 1er janvier, aboutissant à un recul de 30% du nombre de fonds enregistrés.
Pour le mieux? "Cela veut dire qu'il s'agit d'une bonne réforme. C'est indispensable de passer par là pour clarifier", estime Grégoire Cousté.
Avec AFP.