Ce mardi 15 avril, les banques membres de la Net-Zero Banking Alliance (NZBA) ont annoncé avoir voté en faveur d'objectifs climatiques nettement moins contraignants. Pour comprendre cette décision, ID a posé trois questions à Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance, une ONG qui œuvre pour une finance au service de la transition écologique.
Les membres de la NZBA ont revu leurs objectifs à la baisse et ont notamment supprimé l'obligation pour les banques de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Qu'est-ce que cela implique concrètement ?
Ce qui est certain, c’est que c'est un retour en arrière massif. En rejoignant l’alliance, les banques avaient reconnu leur responsabilité à agir pour transformer le business model des entreprises qu’elles soutenaient, de manière à accélérer la transition. Aujourd’hui, en votant pour l’ensemble des changements qui ont été proposés, les banques affirment qu’elles vont simplement suivre le marché et qu’elles n’ont plus la responsabilité de le façonner. C’est un retour en arrière sur ce qui s’est développé depuis 15 ans. Les banques doivent faire preuve de jugement lorsqu’elles soutiennent des activités et des entreprises, de manière à éviter de contribuer aux impacts négatifs sur le climat ou l'environnement. Désormais, c’est au niveau de chaque banque que cela va se jouer.
Il faut aussi rappeler que le vote est secret. Et ce vote, qui est massif puisque 90 % des membres ont voté pour les recommandations, jette un doute sur les engagements climatiques de l’intégralité de la communauté bancaire. Si les banques ne réaffirment pas très vite leur engagement individuel à s’aligner sur une trajectoire à 1,5°C, leurs parties prenantes – employés, épargnants, investisseurs – sauront qu’il n’est plus possible d’attendre de ces banques qu’elles réduisent les risques climatiques. Ce sera donc à ces parties prenantes de prendre leurs propres responsabilités et d’agir en conséquence.
Il est facile de voter en secret pour de tels retours en arrière. Maintenant, la question est de savoir si chaque banque va assumer publiquement sa position et indiquer à toutes ses parties prenantes qu’elle a renoncé à limiter les pires impacts du dérèglement climatique."
Selon vous, quelles sont les raisons d'une telle décision ?
Le premier argument avancé, c’est que les exigences seraient trop fortes par rapport à la réalité et au rythme de la décarbonation et que la NZBA doit réduire ses lignes directrices si elle veut attirer de nouveaux membres. Cet argument ne tient pas : le principe de responsabilité différenciée est déjà dans tous les textes internationaux, ainsi que dans les scénarios de décarbonation publiés par l’Agence internationale de l’énergie. Et détricoter à ce point une alliance revient en réalité à l’enterrer.
Un autre argument avancé, c’est le fait que le monde ne se décarbonerait pas assez vite. Mais c'était déjà le cas lorsque les banques ont rejoint la NZBA. C’est pour cela même qu’elles ont créé cette alliance, en reconnaissant leur responsabilité à transformer la manière dont elles allouent leurs services financiers à l’économie, pour pouvoir mettre cette dernière sur les rails d’une trajectoire à 1,5°C. Aujourd’hui, dire que le monde ne se décarbone pas assez vite et que les banques ne peuvent pas tenir cet objectif, c’est un aveu de la vacuité de leurs précédents engagements.
Le caractère secret du vote joue aussi. Il est facile de voter en secret pour de tels retours en arrière. Maintenant, la question est de savoir si chaque banque va assumer publiquement sa position et indiquer à toutes ses parties prenantes qu’elle a renoncé à limiter les pires impacts du dérèglement climatique.
Face à cette décision, que peuvent faire les autorités de surveillance, les pouvoirs publics ou encore la société civile ?
Généralement, lorsque le secteur privé fait défaut, on en appelle à la réglementation, et lorsque la réglementation fait défaut on en appelle au secteur privé. Aujourd’hui, on est dans un contexte assez grave puisqu’on a ces retours en arrière du secteur privé qui entrent en résonance avec l’agenda trumpiste porté outre-Atlantique. Mais aussi avec la déréglementation poussée au niveau de Bruxelles par certains gouvernements, y compris le gouvernement français, et certains lobbys comme la Fédération bancaire française (FBF).
Pour aller plus loin : "L'ISR sur les principales classes d'actifs"
Nous, nous en appelons bien entendu aux superviseurs qui agissent pour la stabilité financière sur le long terme, et qui doivent s’assurer que cette stabilité demeure, et donc qu’une action climatique forte soit mise en place par les acteurs économiques et financiers. Bien entendu, nous en appelons aussi à tout un chacun : les épargnants, mais aussi les employés de ces institutions, qui ont cru à l’engagement de leur entreprise et qui, aujourd’hui, peuvent se retrouver en désaccord total avec l’agenda porté par leur direction.