En juin 2022, la Commission européenne a proposé un règlement pour la restauration de la nature dans le cadre de son Pacte vert. Après un an et demi de débats, la présidence du Conseil et les représentants du Parlement européen ont conclu un accord provisoire à son sujet. Son adoption constituerait une avancée majeure dans la lutte contre l'érosion de la biodiversité, une thématique longtemps négligée par la politique européenne. Cependant, les écologistes et les associations environnementales ne sont pas pleinement satisfaits du texte final, qu'ils estiment en partie vidé de son sens. Explications.
Un accord historique
80 % des habitats naturels européens sont endommagés. Les plus touchés par ce constat ? Les zones humides, les tourbières, les prairies et les habitats dunaires. À titre d'exemple, les zones humides ont diminué de moitié depuis le début des années 70.
Malgré ce constat alarmant, la protection de la biodiversité est longtemps restée un point mort de la politique européenne. En 1992, la directive habitat a bien donné naissance aux zones Natura 2000, un réseau d'espaces naturels protégés à valeur patrimoniale, mais depuis ? "Plus rien", nous confie Caroline Roose, eurodéputée, membre du groupe ALE/Les Verts et rapporteuse sur l'accord pour la restauration de la nature au sein de la commission de la pêche.
En dehors de ce dispositif spécifique aux espaces naturels remarquables, aucune disposition n’était encore venue protéger ou restaurer la biodiversité ordinaire et/ou déjà endommagée. Trouver un accord sur "ce qui fait sens pour la restauration de la nature, que ce soit pour les écosystèmes marins, la forêt ou les problématiques de terre agricole", était un "besoin urgent" d'après Caroline Roose.
Les objectifs du texte
Cette nouvelle loi sur la restauration de la nature vise à combler cette lacune et fixe l'objectif de restaurer a minima 20 % des zones terrestres et maritimes d'ici 2030 et tous les écosystèmes dégradés d'ici 2050. L'accord décline des objectifs spécifiques pour les divers écosystèmes qu'il couvre, des forêts et prairies aux milieux marins en passant par les écosystèmes agricoles, urbains ou d'eau douce.
Quelques mesures phares de cet accord :
- Pas de perte d'espaces verts urbains d'ici à 2030, puis une augmentation d'au moins 5 % de ces espaces en 2050.
- Remédier au déclin des pollinisateurs d'ici 2030, puis augmenter leur population à l'horizon 2050.
- Renforcer la biodiversité des écosystèmes forestiers en y laissant plus de bois morts, par exemple.
- Planter 3 milliards d'arbres supplémentaires dans l’UE.
- Reconnecter les 25 000 kilomètres de rivières européennes.
- Remettre 30 % des tourbières en eau d'ici 2030, 50 % pour 2050. Ces zones humides colonisées par la végétation connaissent une forte dégradation liée aux activités humaines, notamment l'agriculture. Néanmoins, les États membres fortement touchés pourront appliquer un pourcentage plus faible et la mesure ne s'applique pas aux agriculteurs et propriétaires fonciers privés.
- L'augmentation de la biodiversité des terres agricoles selon au moins deux des trois indicateurs proposés : indice de la population de papillons ; stock de carbone des sols ; part des terres agricoles présentant des caractéristiques topographiques à haute diversité.
Si le texte est définitivement adopté, les États membres de l'Union européenne devront chacun proposer un plan de restauration national détaillant leur stratégie pour atteindre ces objectifs.
Un texte moins ambitieux que prévu
Pour parvenir à un accord, le texte initial de la commission a dû être profondément transformé. Dès sa proposition par la commission en juin 2022, le texte a suscité de vives contestations de la part du PPE, le groupe parlementaire le plus important du Parlement européen, regroupant conservateurs de droite et d'extrême droite. Celui-ci s'est farouchement opposé à cette loi, la qualifiant de "hors-sol". Anne Sander, eurodéputée conservatrice, déclarait alors à Libération qu'elle conduirait à "l'arrêt de mort de toute production économique, industrielle, forestière et agricole en Europe". En particulier, ce sont les dispositions sur l'agriculture qui ont cristallisé le plus de désaccords, la droite s'opposant ardemment à plusieurs mesures proposées par la commission, notamment l'obligation d'avoir des mesures de restauration sur 10 % des terres agricoles.
De l'autre côté de l'échiquier politique, on estime que cette position relevait avant tout d'une stratégie politique. "Nous nous approchons des élections européennes", relève Caroline Roose, "le PPE veut se positionner sur le vote agricole, il y a des enjeux d'agenda politique qui rentrent très fortement en compte. Et c'est dommageable parce que c'est la nature qui en pâtit". Pour parvenir à un accord, des concessions ont donc dû être faites.
Le texte a été vidé de sa substance en termes d'agriculture" - Caroline Roose, Eurodéputée membre du groupe ALE/Les Verts
En résulte un texte moins ambitieux que celui initialement proposé par la commission, en particulier sur la question agricole. La mesure de restauration de 10 % des terres agricoles, "ligne rouge" pour le PPE, a été abandonnée. Une nouvelle disposition du texte introduit également la possibilité de suspendre les dispositions relatives aux écosystèmes agricoles en cas d'évènement imprévisible ou d'atteinte à la sécurité alimentaire de l'Union européenne.
"L'accord trouvé" indique Anne Sander sur X, "permet de remettre la sécurité alimentaire au centre de nos priorités". Un constat qui est loin d'être partagé par les écologistes. "Le texte a été vidé de sa substance en termes d'agriculture, alors même que la crise de la biodiversité frappe de plein fouet ce domaine", martèle Caroline Roose. Un avis partagé par les associations environnementales, le WWF, par exemple, regrette les "importantes concessions" qui ont dû être faites pour arriver à un accord ainsi que la "flexibilité excessive" de l'accord "concernant les obligations des États membres" à respecter les objectifs posés par le texte.
Si, pour Caroline Roose, cet accord sur la restauration de la nature demeure une bonne nouvelle, l'eurodéputée aurait souhaité y percevoir des objectifs "plus contraignants". Elle souligne que sa réussite dépendra des termes de son "application" mis en œuvre par les États membres. Une question qui demeure sans réponse immédiate, puisque l'accord du 9 novembre a encore du chemin à parcourir avant d'entrer en vigueur : il doit être formellement approuvé tant par le Conseil que par le Parlement européen. Affaire à suivre donc.
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