Coralie Martin, parasitologue au musée d’Histoire naturelle et à l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche), ainsi que présidente de la Société française de la parasitologie, évoque auprès d'ID la gestion de la crise sanitaire actuelle ainsi que l’approche pluridisciplinaire "One health".
Qu’est-ce que c’est que le concept One health ?
Ce concept part du principe que la santé humaine et la santé animale sont interdépendantes et qu’elles sont aussi associées à la santé de l’environnement. C’est aussi pour mettre au point des moyens pour répondre à des défis sociétaux et sanitaires globaux. Cela vient d’un questionnement pluridisciplinaire qui s’est développé au moment des crises sanitaires plus anciennes, comme justement la première crise du coronavirus en 2003. Ce qui s’est passé au début des années 2000, au moment de ces crises de coronavirus "version 1", des organisations telles que l’OMS (Organisation mondiale de la santé, ndlr), la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, ndlr), et la version vétérinaire de l’OMS se sont mises autour d’une table pour réfléchir à des moyens de lutte. Cette méthode a été utilisée pour toutes les crises que nous avons connues depuis ces vingt ans, Ebola, la grippe aviaire... Donc l’idée de l’approche est d’apporter des réponses pluridisciplinaires à des événements qui nécessitent de nouvelles formes de gouvernance et d’expertise.
Nous avons besoin des médecins pour répondre aux besoins d’urgence. Mais nous avons aussi besoin de comprendre d’où vient ce pathogène qui émerge ou réémerge.
À quels enjeux répond cette approche pluridisciplinaire ?
Ce que nous voyons actuellement, c’est plutôt l’aspect médical : nous avons besoin des médecins pour répondre aux besoins d’urgence. Mais nous avons aussi besoin de comprendre d’où vient ce pathogène qui émerge ou réémerge. Pour cela, nous avons besoin des vétérinaires pour comprendre le pathogène et identifier la maladie et sa transmission à l’Homme. Ensuite, nous allons avoir besoin d’épidémiologistes pour avoir l’étendue des dégâts et l’incidence du pathogène. Nous allons avoir besoin de statisticiens pour constater et prévoir jusqu’où ira l’épidémie. Nous allons avoir besoin de sociologues aussi pour pouvoir décrypter comment dans les différentes populations concernées par les pathogènes, cette maladie est perçue. Nous avons besoin des politiques pour prendre les décisions, etc.
En me décrivant l’approche, cela peut nous faire penser au Conseil scientifique et au gouvernement...
Un peu, mais ça ne l’est pas ! Nous avons clairement besoin des personnes qui ont des compétences diverses pour prendre des décisions.
Nous sommes plus dans une gestion d’une crise sanitaire et nous n’avons pas eu le temps nécessaire pour prendre du recul.
Est-ce que c’est le cas aujourd’hui ?
Le Conseil scientifique a une composition assez médicale, il y a un ou deux sociologues et anthropologues, mais c’est majoritairement des médecins et cela se comprend. Nous sommes plus dans une gestion d’une crise sanitaire, et nous n’avons pas eu le temps nécessaire pour prendre du recul.
Donc l’objectif de One health serait plutôt de tirer des conclusions, d’anticiper et de prévenir ?
Oui, l’idéal et c’est ce que nous espérions avec ce genre de concept, est de pouvoir mieux cerner à la fois ce qui se passe sur le terrain, comme gérer une crise. Et même maintenant nous sommes en train d’apprendre de ce qui se passe, ce n’est jamais perdu parce que cela resservira à mettre en place des plans sanitaires pour le futur.
Nous sommes en interdépendance avec notre environnement. Il y a une forte interaction et lorsque nous jouons sur un composant il va y avoir des effets cascades que nous allons forcément ressentir.
Personnellement, lorsque j’évoque l’écologie, j’explique que c’est l’étude des êtres vivants entre eux finalement, et cette définition rappelle le concept One health.
Complètement, parce que c’est là où nous voyons que nous sommes en interdépendance avec notre environnement, au sens biotique mais aussi abiotique, c’est-à-dire avec les animaux, la nature et l’action de l’Homme sur l’environnement. Ce qui doit ressortir, c’est qu’il y a une forte interaction et que lorsque nous jouons sur un composant il va y avoir des effets cascades que nous allons forcément ressentir.
Est-ce que vous pensez, que si nous avions cette approche écosystémique, nous aurions pu éviter l’émergence de ce coronavirus ?
Ce n'est pas sûr ! Les maladies infectieuses étaient bien là avant nous et seront bien là après nous. Je ne suis pas certaine que l’on puisse maîtriser tous les paramètres, mais nous pouvons limiter les risques, et c’est l’idée de gestion de risque ! En tout cas, nous voyons que nous avons - nous êtres humains - des actions qui vont poser problème sur l’expansion de certains pathogènes, ne serait-ce que par le transport mondial qui a flambé l’épidémie. À titre d’exemple, la grippe espagnole était plus large mais a eu moins de portée parce que nous bougions moins.
Pour l'exemple du moustique tigre, nous avons une structure qui est assez pluridisciplinaire et qui implique des partenaires au niveau départementaux, régionaux de la société civile et politique.
Dans la pratique, est ce qu’il y a eu la mise en œuvre de cette approche ? Et est-ce que vous auriez un exemple d’application de ce concept dans notre organisation actuelle, notamment à l’échelle française ?
Il y a des volontés de le faire : le concept est repris dans les séminaires en ce moment, mais maintenant il n’y a pas une réelle transformation pour l’essayer ! Quant à son application, cela reviendrait à dire, "est-ce que nous avons les bons partenaires autour de la table ?" et "à quelle échelle d’action ?", "est-ce que nous sommes dans le préventif, dans l’urgence, ou dans le curatif ?".
Ensuite, si nous prenons l’exemple du moustique tigre, nous suivons son arrivée depuis 2004, avec une bonne cellule de surveillance, nous savons les risques et la manière de les gérer. Donc nous avons une structure qui est assez pluridisciplinaire et qui implique des partenaires au niveau départementaux, régionaux de la société civile et politique. Là, concrètement nous avons un exemple de l’approche One health dans une zone donnée !
Cette approche pourrait s’appliquer à toutes les activités humaines et prendrait en compte toutes les interactions ?
Oui, c’est vrai qu’il n’y a pas que les maladies infectieuses. Dès que nous touchons à l’environnement, nous entendons bien l’argument économique, mais débobiner le problème jusqu’à anticiper les effets négatifs ce n’est pas toujours fait. Par exemple, lorsqu’on nous parle de la Guyane et d’enlever une forêt pour en faire une mine d’or, il faut peut-être d’abord réfléchir aux conséquences. Cela va changer l’écosystème végétal et animal, c’est des zones tampons qui vont disparaître et c’est la biodiversité qui est en question ici.
Nous sommes entourés de parasites et de bactéries et l’idée est de les éviter, sans oublier qu’ils ne sont pas tous pathogènes.
Peut-on dire que la Covid-19 est une conséquence directe de l’activité humaine ?
Je ne sais pas si nous pourrions dire cela, parce que de toute façon ces pathogènes existent quelle que soit notre activité. Mais c’est plutôt notre exposition à ces pathogènes qui pose question et c’est là où notre action pourrait être remise en cause dans le fait que l’on se retrouve en contact. Mais nous sommes entourés de parasites et de bactéries et l’idée est de les éviter, sans oublier qu’ils ne sont pas tous pathogènes.
Aujourd’hui, l’approche est sectorielle, et nous sommes loin finalement de cette démarche "One health" qui se voudrait pluridisciplinaire !
C’est vrai qu’elle était fermée au départ. En six mois, y a eu différents travaux des scientifiques et nous sommes partis d’une crise à gérer en urgence, à comprendre la manière dont ce virus marche et ses mécanismes d’interactions. Aujourd’hui, nous commençons à avoir plus de connaissances sur le virus, donc c’est plutôt à posteriori que nous allons gérer.
Il faut espérer que cette crise que nous vivons ait des conséquences positives sur les relations que nous pourrions avoir avec les différents partenaires qui peuvent gérer la crise.
Ultime question, est-ce que nous pouvons imaginer que la crise de la Covid-19, soit une opportunité unique de changement de paradigme ?
Il faut espérer que ce soit le cas et que nous ayons une politique de risque plus anticipée que celle que nous avons actuellement. Il faut espérer que cette crise que nous vivons ait des conséquences positives sur les relations que nous pourrions avoir avec les différents partenaires qui peuvent gérer les crises, surtout en ce qui concerne les maladies infectieuses.
Une interview réalisée en partenariat avec France Inter. Pour écouter la chronique Social Lab :
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